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Janvier 2013

 

UN AGE NOMME DESIR : FEMINITE ET MATERNITE .La disponibilité à soi-même (à la cinquantaine) un prix à payer.

 

Régine LEMOINE-DARHUIS et Elisabeth WEISSRAN

 

Antennes de l’ouvrage paru  aux  Editions Albin Michel en 2006

 

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Introduction , par  Henri Charcosset

 

Dans cette partie de l’ouvrage, les auteures traitent du rude mais riche chemin de vie à parcourir par la femme mariée, la cinquantaine,  ayant  des enfants sortis du nid familial…..et qui veut s’émanciper, retrouver sa liberté.

 L’allongement de l’expérience de vie milite,  nous semble-t-il, pour un mariage à durée déterminée. A la fin de la période d’éducation des enfants, le compteur en serait remis posément à zéro, pour choisir entre un bail renouvelé, et une séparation affective. Ne devrait-on pas pouvoir passer naturellement  de l’amour à l’amitié, de même que trente ans plus tôt, on est passé de l’amitié à l’amour ?  Ce n’est peut-être bien  qu’une question de temps !

 

Texte  des auteures

 

Absent , elle pouvait organiser sa vie sans tout casser et sans affronter un divorce , ce qui dans sa classe peut encore être considéré comme un acte insensé ,mais elle a choisi la liberté . Un besoin de liberté poussé à son extrême …

Vient le temps d’un constat, celui du travail achevé. Toutes les femmes de plus de 50 ans le disent à peu prés dans les mêmes  termes : «  Mon contrat est rempli »,  «  Mission accomplie »,   « Boulot fini ». Les résultats ne sont peut-être pas à la hauteur des espérances, mais au moins elles auront fait ce qu’elles pouvaient.

 Les enfants sont sur les rails, la carrière professionnelle approche du terminus, elles ont du temps, ou plus de temps . Les efforts acceptés

( leurs mères auraient  dit les « sacrifices » ) au nom du bon fonctionnement de la tribu familiale n’ont plus vocation à perdurer.

 

S’oublier pour cause de mari, de travail et d’enfants ? D’accord, mais à quoi bon quand la mission est en voie d’achèvement? D’aucuns pourraient voir dans cette attitude quelque désinvolture, enfantillage, ou irresponsabilité . Et s’il s’agissait plutôt d’une salutaire prise de conscience que ce qui devait être fait a été accompli, et que les efforts et les contraintes acceptés au nom du devoir et de la responsabilité - précisément - n’ont plus de raison d’être ?

 

Pourquoi diable vivre encore à l’heure des contraintes familiales, si l’on peut respirer? C’est tout simple, nous expliquera l’une de ces rebelles de la dernière heure: «  Un jour, j’ai regardé mon salon et je me suis demandé:’’ Mais à qui ressemble-il ?’’ Et j’ai  vu le salon version contemporaine de celui de ma belle-mère, j’y ai vu des traces d’enfants et de petits-enfants, mais rien de moi.

C’est idiot mais cela m’a fait un choc … J’ai compris que je m’étais  souvent conformée à mes devoirs et que ma volonté propre ne s’était pas toujours exprimée. Je n’ai pas de regret, je n’ai pas honte, mais maintenant, j’ai tout fini, il est possible que cela change. »

C’est un réveil, sans jamais être un abandon de poste. Comme elle le dit pour conclure : « Autrefois , les femmes se donnaient entièrement et définitivement aux autres. Dans ma jeunesse je me suis faite par moi-même, ensuite j’ai bâti une famille et un cabinet d’avocats avec mon mari .Maintenant, ils n’ont plus besoin de moi, je ne me donne plus aux autres, je reprends ma construction et je me donne en priorité à moi-même . «  Tout le contraire de ce que dit Christiane Collange , qui analyse cette Deuxième Vie des femmes comme  ce moment idéal pour se consacrer aux autres.....

 

 

L’augmentation du taux de divorce dans la tranche d’âge qui nous intéresse semblerait banaliser la séparation, et pourtant l’intolérance qui touche les femmes quinquagénaires s’engageant dans processus de libération des « chaines conjugales » (oui, oui, c’était un terme utilisé) est encore très forte.

C’est qu’il n’est pas simple de vivre pour soi: D’abord parce que, dans l’inconscient collectif traine encore l’idée qu’à  la cinquantaine et au-delà une femme est stabilisée. Comment pourrait-elle donc envisager quelque révolution que ce soit dans sa vie?

 « S’il y a une chose qui s’estompe avec l’âge, c’est bien l’égoïsme » ,assène Annie Hubert (1) anthropologue . Comme  s’il fallait renoncer à soi pour aller vers les autres. Rien de moins sûr. Non seulement l’égoïsme n’est pas une question d’âge, mais cette affirmation laisserait à croire que l’égoïsme est un bien vilain défaut et qu’on pourrait faire les choses autrement que dictées par le plaisir qu’on en retire. L’abnégation n’existe pas , tout acte humain est intéressé . Qui pourrait prétendre qu’on ne retire aucun bénéfice secondaire du sacrifice ? Contrairement à toute cette littérature bien-pensante du « vieillissement correct »  qui fait de la deuxième vie des femmes une vie enfin entièrement dédiée aux autres, nous pensons, nous que cette deuxième vie est bel et bien celle de la disponibilité à soi-même, vertu d’un égoïsme de bon aloi et tremplin indispensable à la véritable disponibilité aux autres.  Mais ces choses-là ne se disent pas, voyons.

 

Assumer son désir est non seulement un combat personnel mais aussi un lutte contre les inerties et les résistances qui ne vont pas manquer de se dresser de toutes parts. La dissidence est dérangeante, subversive. Comme si les velléités de libération menaçaient la sacro-sainte disponibilité, cette vertu tant attendue des femmes. Que des femmes puissent placer au hit-parade de leurs devoirs le fait de se consacrer à elles-mêmes après s’être consacrées aux autres peut sembler à certains insupportable . Non seulement elles ont grandi en toute liberté dans leur jeunesse, mais elles se mettraient aussi à vouloir vieillir de la sorte? Inquiétant pour une société qui repose sur la solidarité intrafamiliale ! Perturbant pour les filles qui aimeraient bien pouvoir compter sur la disponibilité sans faille de leurs quinquagénaires de mères. Blocages sociaux et intérêts personnels se rejoignent pour freiner les désirs de libération. Les conséquences de l’émancipation ne se sont pas fait attendre pour Marie-Odile, par exemple, qui à 56 ans, découvre que son choix de vie, de femme divorcée, se conjugue avec réprobation et solitude .

«  Tout le monde me désapprouve, en particulier mes enfants que cela déstabilise  au moment où ils  créent leur propre famille et seraient bien contents d’avoir papi-mamie à portée de main. Ils n’ont rien dit sur le coup. C’est après coup que les critiques ont commencé : mes deux filles, qui ont des enfants jeunes et habitent à deux pas de chez moi, ont commencé à évoquer le fait qu’il n’ y avait plus de famille, que dans les grands rassemblements leurs enfants n’avaient plus de grand-père , qu’il n’y avait plus de mamie pour les emmener à la campagne et à la mer. Et bien non, voila c’est comme ça, je ne suis plus mamie-gâteau, je reste leur mère et grand-mère, mais j’existe autrement - enfin j’essaie-, je ne vais pas renoncer aux quelques années qui se présentent …Pendant presque soixante ans, je n’ai fait que mon devoir. Il est temps que je pense à moi ».

 

A la critique des enfants peut s’ajouter la réprobation maternelle, comme l’explique  encore Marie-Odile : «  Ma mère ne comprend pas que je ne supporte plus ce que j’ai supporté pendant vingt-cinq ans. Elle trouve que je prends des risques, et je vais « finir » toute seule, le mot est lâché, et elle, comment va-t-elle finir ? Ma mère a vécu collée avec mon père pendant cinquante ans, alors que de toute évidence ils n’avaient en commun que le fait de vivre ensemble. Elle a fait son devoir tout au long: épouse parfaite, mère parfaite, dame d’œuvres. Elle ne s’est jamais posé de questions. Le devoir, toujours le devoir, rien que le devoir. Si elle choisit d’être seule avec ses devoirs, moi je préfère être seule avec mes envies. Elle ne me demande plus comment je vais, mais elle commente mon apparence : « Tu as maigri , tu n’es pas allée chez le coiffeur , tu ressembles à quoi avec ces jeans? Sous-entendu : « Avec ton mari tu étais impeccable et présentable, et maintenant tu es une moins que rien ». Nous nous parlons rarement, et seulement en présence des enfants. Elle me traite un peu comme une  paria, ou tout au moins comme une malade.

Malade, oui malade  de la liberté que j’essaie de trouver ».

 Opprobre des enfants pour des raisons de convenances personnelles, opprobre de la mère pour des raisons de convenances sociales, sans parler des amis…

Marie-Odile continue : «  C’est bien simple, j’ai perdu toutes mes relations. Enfin , je précise : je n’ai pas perdu mes amies à moi , mais nos amis, ceux pour lesquels nous faisions un couple parfait. Évidemment, si je pense à l’image que nous avons donnée de nous pour notre dernier grand dîner : cent vingt personnes réunies pour mon anniversaire. Une réussite, pensez-vous : nous avons terminé à 4 heurs du matin ! Mon mari me promenait comme un trophée, en disant qu’il était fier de moi, je lui donnais des années de bonheur ( il oubliait de préciser que je n’étais pas la seule femme à y contribuer…).

 Les amis qui étaient là me fêtaient, me célébraient. Quelle mascarade, quand j’y pense ! Je sais que c’est fini, ils ne me recevront plus.

Je repars à zéro . Je n’aurai plus la même  vierelationnelle , fini les couples à paillettes … Mais fini aussi les couples sans paillettes.

 

Le fait que je sois une femme seule ne me donne plus la même vie sociale. Je ne la cherche pas non plus, je ne la provoque pas, mais on n’ invite  pas les femmes seules dans le milieu bourgeois qui est le mien . Alors place à la vie amicale, je vois des gens, je vais beaucoup au théâtre , beaucoup avec des femmes d’ailleurs … Mais je suis seule en vacances, aussi: les vacances , quelle horreur ! Avant, je me plaignais parce que nous avions sans arrêt des invités, j’avais l’impression que tout le monde est invité, occupé, sauf moi, et maintenant je dois me débrouiller. Je ne vais quand même pas aller au Club Med!

Bien sûr, je pourrais garder les petits-enfants, rassembler tout ce  petit monde et refaire une maison comme dans mon enfance. Mais je n’en ai pas envie, je suis trop jeune pour entrer dans ce couvent-là. N’empêche que les premiers mois après avoir quitté mon mari ont été terribles… »

Elle évoque longuement la solitude, «  plus de vie relationnelle, la critique partout », une solitude aggravée par  la réprobation des plus proches. Une quarantaine, un rejet.  «  J’ai cassé le bon fonctionnement de la famille. Ne croyez pas que tout aille bien. Je morfle. Mais il me reste trente ans à vivre , j’ai décidé de les vivre à mon goût . Alors je paie le prix. Les enfants sont élevés, je suis seule mais je ne suis pas sentie aussi bien depuis longtemps. »

A la mise à distance du mari répond parfois la mise au ban de la société, mais peut-être  est-ce un préalable, un sas, avant de pouvoir enfin respirer ?Il en va de l’identité , comme le dit Paul Ricœur. Toute identité a deux modalités , la mêmeté et l’ipséité.

La mêmeté, c’est-adire la continuité dans le temps, la mémoire qui permet d’être identifié, reconnu. L’ipséité: la différence , la capacité de continuer à être soi , d’agir, de s’engager , de promettre . Les quinzannaires d’après la crise des 50 ans sont au cœur de ce lien entre la mémoire  ( de ce qu’elles ont été  et de ce qu’elles sont ) et la promesse à l’égard de soi-même. N’est-ce pas ce qu’on appelle la liberté?

 

1. Éloge de la maturité