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Novembre
2010
ELOGE DES
OISEAUX
Giacomo LEOPARDI
Traduit de l’italien par Joël Gayraud
Introduction
Leopardi, Giacomo
(1798-1837), écrivain italien, était
bossu et mal voyant, de santé plus que
précaire.
Ecrire a certainement été pour
Leopardi une revanche prise sur ses misères physiques, sentimentales et même
pécuniaires. Sa vie et son œuvre sont une poignante leçon de courage
intellectuel et moral.
Texte
Par une
matinée de printemps, Amelius, philosophe
solitaire, se tenait entouré de ses livres, à l’ombre de sa maison de
campagne, et lisait. Touché du chant des oiseaux qui volaient à l’entour, il
se mit à les écouter et à méditer, puis abandonna sa lecture. Enfin, il prit
sa plume et, sur place, écrivit ce qui suit.
Je ne
prétends pas par là qu’à les entendre ou à les voir, l’on se réjouisse
toujours; mais je veux dire que les oiseaux, en eux-mêmes, ressentent la joie
et la gaieté plus que les autres animaux. Ceux-ci paraissent d’ordinaire
sérieux et graves; nombre d’entre eux se montrent même mélancoliques: chez
eux la joie ne se manifeste guère, et encore les signes en sont-ils timides
et fugaces. Dans la plupart de leurs jouissances et de leurs plaisirs, jamais
ils ne font fête ni ne témoignent d’allégresse. Les campagnes verdoyantes,
les horizons dégagés et splendides, les soleils éclatants, les cieux
cristallins et doux les charmeraient-ils, ils n’en laissent jamais rien voir;
excepté les lièvres, dont Xénophon écrit qu’aux nuits de lune, surtout
lorsqu’elle est pleine, ils dansent et s’ébattent ensemble, égayés par la
lumière. C’est dans
leurs mouvements et leur allure que les oiseaux se montrent surtout si joyeux:
et ce pouvoir qu’ils ont de nous réjouir à leur spectacle tient à ce que
leurs manières et leur aspect expriment une aptitude naturelle, une
inclination particulière à éprouver du plaisir et de la joie; et c’est là une
apparence qui ne saurait être tenue pour vaine et trompeuse. En effet à
chacun de leurs bonheurs, à chacune de leurs satisfactions, ils se prennent à
chanter; plus ce bonheur et cette satisfaction sont vifs, plus ils mettent
d’ardeur et de zèle dans leur chant; et comme ils chantent le plus clair de
leur temps, ils doivent être de belle humeur et favorisés par le plaisir.
S’il est certain qu’à la saison des amours ils chantent mieux, plus souvent
et plus longtemps, il ne faut pas croire qu’ils ne connaissent d’autres
raisons, heureuses et agréables, de chanter. Ainsi l’on voit bien qu’ils
chantent davantage par temps calme et lumineux que lorsqu’il fait sombre et
que l’air est agité; et que dans la tempête ils se taisent, comme chaque fois
qu’ils sont pris de frayeur. Mais celle-ci passée, ils reviennent avec leurs
chants et leurs jeux. Et, de même, ils ont coutume de chanter à l’aube, dès
le réveil, poussés en partie par la joie du jour nouveau, en partie par le
plaisir que prend généralement tout animal à sentir ses forces restaurées par
le sommeil. Ils tirent aussi une joie extrême des riantes prairies, des
vallées fertiles, des eaux pures et transparentes et de la beauté du paysage.
En cela il est remarquable que ce qui nous paraît gracieux et plaisant, le
leur paraisse aussi, comme on peut le voir aux leurres dont on se sert dans
les oiselleries pour les attirer vers les filets et vers les pièges. L’on
s’en rend compte également à la situation des lieux champêtres où ils se
rassemblent en plus grand nombre et chantent avec plus de constance et
d’entrain. Tandis que les autres animaux, si ce n’est peut-être ceux que
l’homme a domestiqués et habitués à vivre avec lui, ne sont presque jamais
sensibles à l’agrément et au charme des lieux. Et il ne faut pas s’en
étonner, car ils ne sont sensibles qu’à ce qui est naturel. Or, en cette
matière, la majeure partie de ce que nous appelons naturel ne l’est pas, et
est bien plutôt artificiel; ainsi, les champs cultivés, les arbres et les
plantes taillés et disposés avec art, les cours d’eau endigués et détournés
de leur lit, n’offrent pas l’apparence que leur eût prêtée l’état de nature.
Si bien que, sans parler des villes et des autres lieux où les hommes se
concentrent pour vivre, l’aspect de tout pays civilisé, depuis des
générations, est purement artificiel, fort différent en cela de ce qu’il
serait naturellement. Certains prétendent, ce qui conforterait notre propos,
que la voix des oiseaux dans nos régions est plus délicate et plus douce, et
leur chant plus harmonieux que dans celles où les habitants sont rudes et
sauvages; et ils concluent que les oiseaux, même à l’état de liberté,
empruntent quelque chose à la civilisation de ces hommes dont ils côtoient
les demeures.
// long paragraphe consacré aux hommes, supprimé pour le
présent contexte // Mais, pour conclure
sur le chant des oiseaux, j’ajouterai que le spectacle de la joie
chez autrui, lorsqu’il n’y a pas lieu d’en être jaloux, nous réconforte et
nous égaie toujours, et que par suite il faut louer la nature d’avoir pris soin que le chant
des oiseaux, qui est une manifestation d’allégresse et une sorte de rire, fût
chose publique; contrairement au chant et au rire humains qui, eu
égard au reste du monde, demeurent chose privée. Et c’est par une sage
disposition de la nature, que la terre et l’air sont remplis d’animaux qui,
de leurs cris de joie sonores et incessants, applaudissent tout le jour à
l’existence universelle et incitent à l’allégresse les autres créatures, en
leur délivrant le témoignage perpétuel, quoique mensonger, de la félicité des
choses.
Enfin, en tenant compte de tout ce qui vient
d’être exposé, on conclura sans peine que l’oiseau est, de toutes les créatures,
celle qui jouit de la plus grande richesse de vie intérieure et extérieure.
Or, si la vie est plus parfaite que son contraire, du moins chez les
créatures vivantes, et si une plus grande abondance de vie indique une plus
grande perfection, il s’ensuit que les oiseaux sont également capables de
supporter le froid et la chaleur extrêmes, et de passer de l’un à l’autre
sans transition, comme on le voit aisément lorsqu’ils quittent la terre pour
s’élever en un instant jusqu’aux régions les plus hautes du ciel, où règnent des
températures glaciales, ou quand nombre d’entre eux migrent en quelques jours
sous des climats très différents.
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