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Mars 2013
SOMMES-NOUS VRAIMENT
FAITS POUR DORMIR ENSEMBLE ?
Laure
BELOT
ET
« LE LIT
CONJUGAL EST LATIN
ET CATHOLIQUE »
Michelle
PERROT, Propos recueillis par La.Be.
Le Monde, Dimanche 21- Lundi 22 octobre 2012
Pour une vie de couple épanouie, le confort compte: un matelas de 160 cm
vaut mieux que le classique 140, selon les spécialistes du sommeil.
Allons-nous cesser
d'être masochistes au lit ? Apparemment, nous y travaillons. Sur les 4 millions
de matelas vendus chaque année, la largeur de 140 cm est toujours la star
incontestée de nos nuits ( 65% des matelas achetés en France
). Mais une révolution silencieuse est en marche : en 2012 plus de 610 000
matelas de largeur 160 devraient s'écouler, «
trois fois plus qu'il y a cinq ans », note Gérard Delautre,
directeur général de l'Association pour la literie.
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N'en déplaise à l'Église, dormir à deux est
une habitude récente pour notre espèce, et qui n'a rien de naturel.
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Tendance similaire
chez Ikea qui ne donne toutefois pas de
chiffres précis. « Depuis dix-huit mois,
nous enregistrons une forte demande pour des lits plus larges» reconnaît
Muriel Rolland, porte-parole de l'enseigne où les ventes de cadres de lit taille 140 baissent au profit des 160. Dans le même temps,
le matelas simple est de plus en plus remplacé par un double.
Conséquence: pour trouver de la place, les urbains abandonnent les
tables de chevet « et veulent des têtes de lit avec rangements intégrés »,ajoute Mme
Rolland.
Cette recherche de confort n' a rien de vain. Nous passons en moyenne vingt-quatre ans
à dormir, « ce qui représente, pour les
couples, la plus longue période passée ensemble », note le professeur
Damien Léger de l'Hôtel-Dieu à Paris. Ce spécialiste du sommeil reconnaît voir «
très régulièrement des personnes qui ont du mal à dormir à deux, mais qui
n'osent pas l'avouer».
Le
Monde a lancé un appel à témoignages. Des dizaines d'internautes, hommes
et femmes, jeunes et moins jeunes, ont répondu à la question :«Dormir
à deux,la galère ? »
Il est vrai que nous nous
lançons, depuis quelques décennies, un défi de taille: non seulement nous
voulons conjuguer amour et couple (une nouveauté de moins d'un siècle), mais
nous cherchons toujours à dormir ensemble.
Ce faisant, nous perpétuons une tradition instituée par l'Eglise
catholique qui « a sacralisé la
conjugalité et le lit pour lutter contre le paganisme et maîtriser la société
et sa reproduction», précise l'ethnologue parisien Pascal Dibie, auteur d'Ethnologie
de la chambre à coucher ( Métaillé, 2000 ).
N'en déplaise à l'Eglise,
dormir à deux est un acte récent pour notre espèce, et qui n'a rien de naturel.
Jugez plutôt : nous faisons en moyenne quarante mouvements chaque nuit,«mais cela peut facilement aller jusqu'à
soixante» précise M.Léger. Nous sommes comme de
nombreux mammifères ( singes, cochons, chiens, chats
),des ronfleurs ( un homme sur trois, une femme sur six ).
Et pour pimenter le tout, les générations ne cessent de grandir et
de grossir (en trente ans, plus de 2 cm et 2kg pour les femmes, plus 5 cm et 5
kg pour les hommes). Ce changement morphologique accentue le ronflement...et
quatre Français sur dix déclarent souffrir de troubles du sommeil, selon
l'Institut national du sommeil et de la vigilance.
Les Français ne détiennent
pas seulement le record mondial de consommation d'anxiolytiques, ils utilisent,
avec leurs voisins espagnols, les lits à deux places les plus étroits du monde
occidental (135 centimètres de large en Espagne, 170 en Italie
) . Pour rappel, les 140 centimètres français représentent deux carrures
et quelques d'un homme bien charpenté.
Or, l'impact de la
dimension du lit sur la qualité de notre sommeil est flagrant. En janvier 2012,
dix couples bardés de capteurs ont dormi successivement dans des lits de 140
puis de 160 centimètres sous la direction du professeur Léger. Les résultats
sont bluffants : les « cobayes » ont augmenté de 15% leur
temps de sommeil profond (152 minutes contre 132 ).
Leur nombre de réveils nocturnes a baissé d'un quart (vingt -trois fois contre trente
). Et, une fois la nuit au large
passée, les couples estiment avoir amélioré «
de près de 50% leur sensation de
confort ».
Pour autant, la dimension du
lit n'explique pas tout. Hommes et femmes
ne vivent pas du tout de la même façon la nuit à deux », expliquent John Dittami, chercheur au service de biologie des comportements
de l'Institut de zoologie de Vienne (Autriche), et son comparse Gerhard Klösch, de l'Institut de recherche sur le rêve et la
conscience de l'université médicale de Vienne.
«
Les femmes ont un sommeil plus reposant sans leur partenaire, alors que les hommes
ont un sommeil plus doux quand ils dorment avec leur compagne », expliquent
les auteurs de Ein Bett für zwei (
« Un lit pour deux », Herbig Verllag, 2008, non traduit ).
Pourquoi cette différence ?
Dormir à deux à l'écart du groupe est un comportement social récent à l'échelle
de l'évolution, et cela ne s'est pas encore répercuté sur notre activité psychique. Il faut donc
chercher ces explications dans des
habitudes ancestrales. La femme, maîtresse du foyer, semble avoir une
sensibilité bien plus importante aux bruits et aux mouvements. Alors que
l'homme assimile la présence de sa compagne à celle, sécurisante, du groupe.
Mais plus ces chercheurs creusent, plus le
sujet leur paraît complexe.
«
Les femmes, par exemple, semblent subir le lit à deux, mais ne veulent pas laisser
leur place arguant que cela rassure leurs compagnons », notent-ils.
«Laculture est le plus grand ennemi du sommeil, lance
John Dittami. Dans
chaque pays, cette culture nous dicte quand et comment il faut dormir. Alors
qu'on dort bien quand on fait ce que l'on veut.» D'une traite, en petites
siestes, seul, en groupe...
En bons Autrichiens, ces
deux chercheurs ont choisi, pour leurs couples respectifs, des lits jumeaux
avec chacun sa couette : «La grande couette
commune est un désastre. Chacun dans le lit veut la tirer à lui. C'est une
source de tension énorme que nous avons mesurée.»
Anecdotique, la couette ?
Pascal Dibie ne le pense pas. L'utilisation de cet
objet, apparu il y a une trentaine d'années en France, est une aberration due à
… Ikea, estime-t-il. « La France
appartient aux sociétés dites " bordées " qui vont jusqu'à l'Egypte. Dans ces pays,
traditionnellement dépendants de la
culture du lin, on dort habillé et sur le dos, bordé d'un drap et de couvertures,
dans des chambres non chauffées.»
Une habitude opposée à celle
des pays nordique« Du nord de la France à
la Scandinavie, la domestication des canards eiders a créé des sociétés à
couettes. Les gens dorment nus, lovés en chien de fusil dans des couettes
personnelles même s'ils dorment côte à côte. Et les chambres sont chauffées. »
Le typique lit à deux en largeur 140 utilisé avec monocouette et pyjama est donc un ovni français générateur
de stress , dont estime M.Dibie,« on ne nous a pas vendu le mode d'emploi ».
Avec leurs voisins espagnols, les Français utilisent les lits à deux places
les plus étroits du monde occidental.
Laure Belot
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« LE LIT CONJUGAL
EST LATIN ET
CATHOLIQUE »
Michelle
PERROT, Entretien, Propos recueillis par L.Be.
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Michelle Perrot, historienne, est l'auteur d'Histoire de chambres (Seuil,2009).
Depuis quand dort-on à deux ?
Le lit conjugal existe depuis longtemps. Lorsque Ulysse rentre de
son périple Pénélope vérifie son identité par l'étrange « épreuve du lit »: «Lequel a été le nôtre ?», dit-elle.
L'idéal conjugal existe dans la Grèce antique, mais les habitudes de polygamie
et l'astreinte au gynécée(appartement des femmes) font que le lit ne sert pas vraiment à
dormir ensemble. Dans la Rome antique non plus, l'homme et la femme ne se
retrouvent pas tous les soirs. C'est l'Eglise catholique qui va théoriser très
tôt la question du lit conjugal.
Nous dormirions donc à deux par tradition religieuse ?
On peut le dire. Le lit conjugal est latin et catholique. Les deux
lits côte à côte sont protestants et anglo-saxons. L'Église catholique fait du
mariage un sacrement au XIII ième siècle. Le
théologien Thomas d'Aquin déclare: « Le couple
doit avoir son lit et sa chambre.» L'Eglise mise sur la conjugalité pour maîtriser
la société. François de Sales, au XVII ième, bénit le
lit conjugal,«lieu d'un amour tout sain, tout sacré, tout
divin», célébrant «la jouissance à
plein drap »plutôt qu' « à la dérobée
». Mais les femmes subissent l'appétit sexuel des maris. Le lit devient un
lieu d'affrontement comme l'attestent les textes de confession. Les confesseurs
exhortent leurs pénitentes à remplir leur «
devoir conjugal », tandis que celles-ci demandent à leurs époux de «faire attention », c'est à dire de
pratiquer le coït interrompu, considéré par l'Eglise comme le « péché d'Onan ». Faire
chambre à part est désapprouvé par le clergé.
En revanche ceux qui ont les moyens dorment seuls...
Le roi en effet dort seul et rend visite, le
cas échéant , à la reine ou... à sa maîtresse.
L'aristocratie sépare les appartements du maître et de la maîtresse de maison.
Certains intellectuels aussi prennent position. Au XIV ième
siècle, le poète Eustache Deschamps déclare: «Plus aisé coucher un seul que deux.»
Son contemporain Montaigne ajoute: « J'aime à coucher dur et seul, voire sans femme, à la royale, un peu
bien couvert.»
La donne change-t-elle en ville ?
Aux XVIII et XIX ièmes, le lit pour deux se généralise en ville, mais pas
uniquement par manque de place. Le couple est un socle fondamental de la
bourgeoisie, dont le symbole est le lit. «
Le lit est tout le mariage », écrit Balzac. En 1850, le lit exposé au Bon
Marché est encore large. Mais en 1920,il se rétrécit,
comme les appartements.
Pourquoi le choix de deux lits pour les Anglo-Saxons ?
Pour les protestants, dormir
séparé est un choix amoureux (chacun reste un individu dans l'amour
), un choix sociétal (restriction des naissances plus facile ). C'est
aussi un choix hygiénique. En France, le lit double se généralise au XVIII ème en ville, mais la salle de bains ne va apparaître que
deux siècles plus tard !
Dormir seul est-il un tabou ?
En 2009, la Télévision
Suisse m'a interrogée sur un fait
divers: un couple de paysans âgés venait de décider de faire chambre à part et
cela émouvait famille, village et même pays. « Nous séparons notre sommeil de notre désir », avaient-ils
déclaré. L'idée du couple est toujours construite sur la fusion des corps,
signe d'amour. Cela continue à peser très fortement, quelles que soient nos
envies.
Propos
recueillis par L.Be.