Entrée sur site en avril 2016 À PLUS DE 50 ANS ILS ONT DIVORCE |
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Notre Temps, Avril 2016 DÉBAT ANIMÉ PAR CAROLE RENUCCI PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIQUE ODASSO PHOTOS ÉRIC
DURAND |
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« Un divorce à 50, 60 ans, c'était le
bout du monde il y a quinze ans ! » Autre temps, autres mœurs, il n'est
pas rare aujouird'hui qu'à cet âge, les couples passent à l'acte. Cinq lecteurs
nous racontent comment ils ont vécu cette épreuve si particulière.
NOTRE TEMPS Phénomène
rare il y a encore quelques années et de plus en plus courant, le divorce après
50 ans est une expérience à laquelle vous avez dû faire face...
MARIE-NOËLLE J'ai découvert en octobre
2015, après trente et un ans de mariage, que mon mari avait une liaison et
qu'il n'avait pas l'intention d'y mettre un terme. J'ai donc décidé, début janvier,
d'entamer une procédure de divorce.
JEAN-PAUL Nous formions depuis
longtemps un couple sans grande entente. Et puis un jour, au bout de quarante
ans de mariage, est arrivée la dispute de trop... J'ai dû réprimer l'envie de la
gifler. Comme il était impensable de pouvoir lever la main sur ma femme, j'ai
décidé, à 62 ans, de divorcer.
SUZANNE
Après
trente-deux ans de mariage, j'ai découvert l'infidélité de mon mari. Je ne l'ai
pas supporté, même si j'étais tout de même prête à lui redonner une chance en
consultant, entre autres, une conseillère conjugale. Lui n'admettait pas que
j'ose m'affirmer, que je le contredise. Il est devenu violent physiquement,
après l'avoir été psychologiquement pendant de nombreuses années. J'ai donc, à
la stupeur de mon entourage habitué à me voir toujours plier devant la volonté
de mon mari, demandé le divorce pour faute. La procédure est en instance depuis
quatre ans.
HENRI
J'ai
voulu le divorce en 2002, après vingt-deux ans de vie maritale. Notre couple
s'était éloigné au profit des enfants. Mon épouse travaillant à temps partiel
pour mieux s'occuper d'eux, je partais sur des longs courriers, longtemps et
souvent. À chaque retour de rotation, je me sentais en décalage complet.
Pendant plusieurs années, j'ai ramé pour maintenir une cohésion. Mais l'écart
se creusait de plus en plus avec mes enfants et mon épouse qui, plus présente,
régnait sur leur éducation et la vie de famille. Malgré nos discussions, notre
relation s'est vraiment dégradée. Me sentant tout juste « toléré » à
la maison, « à la ramasse », j'en suis arrivé au constat que ça ne
pouvait plus continuer ainsi.
SOPHIE En
2013, j'ai revu, après trente-cinq années, le premier homme que j'ai aimé dans
ma vie. Nos retrouvailles se sont rapidement transformées et une histoire
d'amour qui redémarrait ! Je suis vite partie et le divorce a été prononcé
en juillet 2015. Cela a été très violent pour mon mari, mes enfants... Et pour
moi aussi qui ai pris cette décision sans forcément anticiper toutes les
conséquences et les dégâts collatéraux qui allaient en découler.
NOTRE TEMPS Le divorce est un choc
auquel vous n'étiez pas préparés ?
MARIE-NOËLLE En effet... Comment,
après avoir construit une vie commune durant trente ans, aurais-je pu imaginer
me séparer ainsi un jour ?
JEAN-PAUL Je n'avais jamais pensé
divorcer car cela ne faisait pas partie des modèles de notre génération. Un
divorce à 50, 60 ans, c'était le bout du monde il y a quinze ans ! Mais à
terme, vivre ainsi était une mort à petit feu. Une fois que le processus s'est
enclenché, ni ma femme ni moi n'avons tenté quelque chose pour l'arrêter. Cela
a été un soulagement.
SUZANNE Le divorce ne fait pas partie de ma culture familiale. Ce n'est
pas mon vœu, juste une réaction pour me sauvegarder et ne pas être anéantie par
la violence morale et physique. Je me voyais vieillir aux côtés du père de mes
enfants que j'avais épousé pour la vie, pour lequel j'avais un amour immense.
La thérapie que j'ai entreprise depuis m'a révélé combien j'étais dans le déni
de ma personnalité.
SOPHIE J'ai passé trente et un ans de ma vie avec mon ex-mari. Je suis
partie de chez mes parents pour m'installer avec lui. Je n'avais jamais songé
au divorce avant de franchir le pas et de partir. Je me disais que nous étions
très bien ensemble. Nous avions construit une vie très sereine, rassurante et
confortable. Nous formions un couple avec une belle aura sociale. Je menais une
carrière moins prestigieuse pour m'impliquer plus dans l'éducation des
enfants : lui avait misé sur la réussite sociale et financière. Nous avons
passé notre vie à économiser pour acheter des appartements, les restaurer en
bricolant. Quand je l'ai quitté, nous étions encore dans les travaux de notre
nouvelle maison. Construire et avancer côte à côte a été le fil rouge de notre
relation. Mais en réalité, dans la vie au quotidien, nous laissé le lien
affectif s'étioler. L'argent et le patrimoine contribuent à souder le couple,
mais ça ne suffit pas si les sentiments ne sont plus renouvelés.
NOTRE TEMPS Sauf que l'argent joue un
rôle important dans une séparation...
MARIE-NOËLLE Clairement ! Mon mari a accepté
de divorcer seulement par consentement mutuel. Nous avons donc imaginé un
partage qui me laissait l'avantage financier. Seulement très rapidement,
notaire et avocat nous ont fait savoir que, puisque mariés sous le régime de la
communauté de biens, ce partage ne pouvait déséquilibrer aucun des conjoints.
Mon mari n'a pas de revenus suffisants pour être autonome et quitter la maison.
Et même s'il m'a fait souffrir, je n'ai pas envie qu'il devienne SDF. Coincés
par toutes ces considérations financières, nous avons décidé, il y a quelques
jours, d'arrêter la procédure de divorce pour essayer de vivre en cohabitation,
chacun à un étage de la maison. Lui au rez-de-chaussée : ma fille et moi
au premier.
SUZANNE
J'ai bien conscience que le divorce risque de détruire notre patrimoine.
JEAN-PAUL Côté financier, le divorce est lourd
de conséquences. Si j'avais dû penser à cet aspect-là quand je suis parti, je
ne l'aurais pas fait. Après j'ai assumé, j'ai perdu pas mal d'argent mais
c'était le prix de la liberté, de la paix !
HENRI
Il y a la perte d'argent, une destruction du patrimoine, mais surtout une perte
des projets. Reste l'impression d'un gâchis...
SOPHIE
C'est l'abolition des projets communs et de tout ce que nous avons amassé et
qui raconte l'histoire de la vie du couple, de la famille et celle de ses
ascendants : bibelots, tableaux... Cette charge affective rend le partage
difficile. C'est aussi cela le divorce après 50 ans...
NOTRE TEMPS Et les enfants, comment
de leur côté encaissent-ils cette rupture ?
SUZANNE
Pour
un de mes fils, la coupure avec son père semble définitive. Il ne lui pardonne
pas sa violence.
HENRI
Les trois années qui ont suivi notre séparation n'ont pas été simples. Mes
enfants vivaient encore avec leur mère et subissaient certainement une
influence pas toujours juste. Ils m'en voulaient car celui qui part à toujours
tort. Depuis, nos relations se sont normalisés. À 31 et 33 ans, ils savent
faire la part des choses.
JEAN-PAUL Mes enfants
étaient grands. Pourtant, ma fille de 40 ans a eu du mal à l'accepter.
Aujourd'hui, les choses se sont arrangées. Le temps a fait son œuvre.
SOPHIE
Cela
a été très difficile ! Comme ils avaient 18 et 21 ans, je pensais qu'ils
sauraient comprendre. Mais ils n'ont pas accepté et m'ont tourné le dos. Je m'y
attendais absolument pas. Ils se sont rapprochés de leur père qui était le
parent délaissé. J'ai lutté et recadré pour restaurer une bonne partie de la
relation. Il m'a fallu rétablir le respect en leur rappelant que mes choix
m'appartenaient et qu'ils n'avaient pas à me juger. Maintenant ça va beaucoup
mieux.
NOTRE TEMPS Ce n'est pas plus facile d'être
celui qui part...
SOPHIE
J'avais
50 ans, plusieurs décennies de vie devant moi et une belle histoire d'amour qui
se présentait avec un autre homme. Comme je suis entière, j'ai décidé de ne pas
passer à côté de ce cadeau. Mais je ressens encore un sentiment de culpabilité,
même s'il atténue avec le temps. Voir mon ex-mari et mes enfants souffrir a été
très dur...
HENRI Le divorce est une
décision grave avec des conséquences dans tous les domaines. Cela génère de
nouvelles relations avec ses enfants. Il faut recréer, rafistoler ce qui a été
cassé. Cela prend du temps ! Il faut assumer, même si l'épreuve est
douloureuse et culpabilisante ! Je suis parti avec peu de choses
m'appartenant, mes vêtements principalement, et j'ai laissé tout ce qui était
dans la maison. Je me suis senti très démuni à
ce moment-là. Mais j'ai éprouvé aussi un grand sentiment de libération,
après une période épouvantable de doutes et d'interrogations. Mais finalement,
à me retrouver au pied du mur, le fait de divorcer m'a forcé à toucher le fond
et à remonter pour savoir quel sens redonner à ma vie.
NOTRE TEMPS Et aujourd'hui, quelques
mois ou années plus tard, si vous deviez faire le bilan...
HENRI
Même
si cela s'est passé correctement, le divorce reste tout de même un échec
marquant. Mais durant les années qui l'ont précédé, je me suis senti tellement
dépossédé de ma personnalité qu'il m'a permis de me redécouvrir. Aujourd'hui,
je suis bien, en paix. Je n'ai pas de regrets.
SUZANNE
Tout
en ayant toujours des sentiments pour mon mari, je sais que je ne retournerai
jamais avec lui car il est trop nocif pour moi. Maintenant, je peux faire,
dire, penser ce que je veux et j'accueille des moments de plénitude. Je
commence à entrevoir que j'ai droit au bonheur et qu'il passe par ma
construction personnelle !
SOPHIE
Je
ne regrette rien ! J'ai gagné en estime de moi et épanouissement. Je suis
plus moi-même. Cette épreuve était nécessaire mais ce n'est pas anodin. Il y a
beaucoup de deuils à faire : des lieux qu'ils faut vendre, la famille
désormais éclatée... Noël, qui était pour moi un des meilleurs moments de
l'année, ne l'est plus ! Aujourd'hui je suis contente d'avoir pris cette
décision car la femme que je suis maintenant est trop différente de la jeune
fille de 21 ans que j'étais en rencontrant mon ex-mari. Mais je ne veux pas
tout jeter et oublier que nous avons eu aussi de jolis moments, avec de
l'amour, du bonheur. Nous avons fait ensemble deux beaux enfants, bien
construits ! C'est une belle réussite ! ■