Sections du site en Octobre 2009 :  Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour publier --  Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie --  Histoires de vie  --  Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –Le  webmestre.

 

RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC   AUTEURS, TITRES DE TOUS ARTICLES : CLIC    SYNTHESE GENERALE: CLIC

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Mai 2012

DIEU ET LA SCIENCE

 

Christophe DORE

 

Le Figaro Magazine – 19 février 2011

 

 

« Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? Non, répond le célèbre astrophysicien Stephen Hawking dans un livre événement  paru aux éditions Odile Jacob  . Une théorie très contestée. Scientifiques, philosophes et croyants lui répondent.

 

« Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » La question du philosophe et mathématicien Gottfried Wilhelm Leibniz fera l’actualité dès jeudi prochain avec la sortie en France du dernier livre de l’astrophysicien Stephen Hawking, « Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? » (Odile Jacob).

 

Ce retour sur le devant de la scène d’une interrogation métaphysique remontant au XVIIe siècle peut paraître surprenant. Au-delà d’élever le débat face à nos tracasseries quotidiennes, la fin des soldes ou le casting de la saison 2 de « Masterchef » (TF1), la question s’inscrit dans une tendance qui se fait jour dans la communauté scientifique.

 

Stephen Hawking a aujourd’hui une double conviction. Les chercheurs doivent non seulement répondre à la question « Comment l’Univers évolue ? » mais aussi à celle-ci : « Pourquoi il y a un Univers ? » Il n’est pas le seul à penser ainsi.

Le pacte qui voulait que les sciences répondent au « comment », laissant les religions régler le problème du « pourquoi », n’aurait plus de raison d’être tant la recherche se frotte aujourd’hui à l’essence même de notre monde.

 La frontière longtemps respectée est en train de céder en laissant sur le bas-côté les philosophes.

 

Dès le deuxième paragraphe de son introduction, Stephen Hawking leur règle leur compte : « La philosophie est morte, faute d’avoir réussi à suivre les développements de la science moderne, en particulier de la physique »

 

 « Donc… ça c’est fait ! » diraient les ados. Mais le célèbre astrophysicien britannique qui occupe à Cambridge la chaire historique d’Isaac Newton n’en reste pas là. « C’est à la question ultime de la vie, de l’Univers et de Tout, à laquelle nous essaierons de répondre dans cet ouvrage » résume-t-il.

 

On se doutait qu’Hawking n’avait pas pris la plume pour expliciter l’art difficile de trier son linge avant lavage, mais l’entreprise est pour le moins ambitieuse.

Lors de sa parution dans sa version anglaise « The Grand Design », l’ouvrage a provoqué une levée de boucliers impressionnante. Archevêques anglicans et grands rabbins, évêques catholiques ou imams, mais aussi athées intègres lui sont tombés dessus à propos raccourcis. « La physique ne peut pas répondre à elle seule à la question «  Pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien » », reprochent certains au cosmologiste cloué par une maladie dégénérative dans un fauteuil roulant depuis ses années universitaires. « Le discours métaphysique vers lequel glisse Hawking n’est pas sérieusement étayé », critiquent d’autres.

 

Ses collègues astrophysiciens ne l’épargnent pas non plus. Selon eux, Hawking n’apporte pas de choses nouvelles par rapport à l’un des plus grands succès de la littérature scientifique, Une brève histoire du temps, ouvrage de vulgarisation qu’il a publié en 1989. Voire, il se contredit.

 

Il n’empêche, en donnant une réponse intellectuellement séduisante à la création du monde, le livre de Stephen Hawking trouve une résonnance toute particulière sur cette éternelle question qui oppose Dieu et les sciences. Selon lui, l’Univers – ou plutôt les Univers – n’ont pas besoin de créateur puisque les lois de la gravitation et celles de la physique quantique fournissent un modèle d’Univers qui se créent eux-mêmes. Cette théorie, appelée M-théorie, présente tout de même un défaut majeur : elle reste à prouver, ce que reconnaît Stephen Hawking.

 

 Autre nuance : elle n’est pas la seule théorie aujourd’hui défendue par les cosmologistes sérieux. Dans son Discours sur l’origine de l’Univers (Flammarion), le physicien Etienne Klein rappelle que, à bien les examiner, « les perspectives que nous offre la cosmologie contemporaine sont plus vertigineuses que ce que nous avons imaginé ».

 

 Il raconte aussi cette anecdote selon laquelle le pape Jean-Paul II, en recevant Stephen Hawking au Vatican, lui aurait déclaré « Nous sommes bien d’accord, monsieur l’astrophysicien. Ce qu’il y a après le big bang c’est pour vous, et ce qu’il y a avant, c’est pour nous. »

 

C’était sans doute oublier que la curiosité des hommes est sans limite. Dieu n’est dorénavant plus tabou chez les scientifiques, qu’il s’agisse de l’effacer des possibles ou de prouver son existence.

 

 Jean Staune est un grand défenseur de ce débat. Ce catholique, professeur et directeur de la collection « Science et religion » des Presses de la Renaissance, a le sens du slogan et affirme que « Dieu revient très fort ! »

 Loin de tuer l’idée d’un dieu, les sciences modernes et les questions qu’elles soulèvent se confrontent de plus en plus à l’hypothèse d’un grand créateur, affirme-t-il. S’il n’adhère pas aux conclusions de Stephen Hawking, il respecte la démarche du savant.

 

Les frères Bogdanov, auteurs du best-seller Le Visage de Dieu, surfent aussi sur cette thématique. Le titre de leur ouvrage, inspiré d’un mot de l’astrophysicien George Smoot (prix Nobel) lorsqu’il découvrit les premières images du fond de l’Univers, est explicite.

 

Ces croyants affirment déceler, dans le rayonnement cosmique et le réglage fin de l’Univers, l’existence d’un créateur. Pour son second volet, cette théorie est en partie empruntée à l’astrophysicien américain Trinh Xuan Thuan. Bouddhiste, il défend l’idée d’un principe créateur se manifestant dans les lois physiques de la nature.

 

Cette vision panthéiste est proche de celle de Spinoza ou d’Einstein. « Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l’ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains » écrivait ce dernier en avril 1929 au rabbin Herbert Goldstein de New York.

 

Dans les propos, nous voilà bien loin des principes du père du déterminisme scientifique, Laplace. Celui-ci répondit à Napoléon qui l’interrogeait sur la question de Dieu et de l’Univers : « Sire, je n’ai pas besoin de cette hypothèse. »

 

S’interdisant de s’interdire, des scientifiques du XXIe siècle lui répondent aujourd’hui : une hypothèse plutôt que rien. Stephen Hawking en fait partie.

 

                                                °°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

Jean STAUNE [1]

 

« L’hypothèse d’un créateur est scientifique »

 

Jean Staune est philosophe des sciences. Secrétaire général de l’université interdisciplinaire  de Paris (UIP), ayant dirigé des ouvrages auxquels de nombreuses personnalités scientifiques (dont 11 prix Nobel) ont contribué, ce catholique milite pour un dialogue entre sciences et religions. Pour lui, la science pose ouvertement la question du sens.

 

La théorie de Stephen Hawking vous paraît-elle crédible ?

J’ai envie de vous répondre par une histoire. Vous êtes devant un peloton d’exécution et vous devez logiquement mourir. M ais vous êtes toujours vivant après les détonations. Quelle est votre première réaction ? Vous vous dites que vous avez eu un coup de chance extraordinaire. Dans le peloton, un  des tireurs a été piqué par une mouche, un autre a oublié ses lunettes, ils ont tous tiré à côté ! Puis s’impose à vous l’idée qu’une telle chance n’est pas possible – sauf s’il y avait des milliards de pelotons d’exécution, auquel cas, l’un d’entre eux pourrait rater sa cible. Il a dû y avoir un complot. Le parti de la résistance auquel vous appartenez à soudoyé les tireurs pour tirer à côté. Dernière possibilité : un ami s’est glissé dans l’armurerie, il a échangé les balles contre des balles à blanc. Avec cette histoire, vous avez un bon résumé des hypothèses sur la création de l’Univers.

 

C’est assez obscur pour l’instant…

 

Vous trouvez ? Tout commence avec un principe appelé anthropique (d’anthropos, l’« homme » en grec).

 Les scientifiques se sont rendu compte que si l’on change quoi que ce soit dans les constantes fondamentales de l’Univers, aucune forme de vie et encore moins de conscience ne peut s’y développer.

 Face à cette découverte, que personne ne conteste, il n’y a que trois solutions que je vous ai décrites avec mon histoire.

 Première solution, il existe des milliards d’univers parallèles et statistiquement l’un d’entre eux a pu « gagner au loto », créer la vie en ayant juste la bonne vitesse d’expansion, la bonne gravitation, la bonne masse du proton, etc.

 La deuxième solution, c’est celle du complot où l’on a payé un à un les tireurs pour qu’ils ratent leur cible : un principe créateur a effectué un réglage fin de toutes les constantes fondamentales de notre Univers pour qu’il soit ce qu’il est. Enfin, la troisième solution, c’est qu’il existe une théorie d’unification expliquant la valeur de toutes les constantes fondamentales de l’Univers (ce qui correspond à l’hypothèse des balles à blanc : il y a une cause commune à l’échec des tireurs)… Stephen Hawking défend les première et troisième options.

 

Et qu’est-ce qui vous gêne dans cette dernière option ?

 

Dans Une brève histoire du temps, Stephen Hawking reconnaissait que s’il existait une théorie du Tout, le problème se poserait de savoir « ce qui a insufflé le feu aux équations », c’est-à-dire qui a mis les balles à blanc dans l’armurerie ? L’existence éventuelle d’une théorie de grande unification ne suffit pas à éliminer la question d’un créateur.

Par contre, s’il y a une infinité d’univers parallèles, alors oui, l’hypothèse d’un créateur n’est plus utile.

 Il y a une autre contradiction chez Hawking : il dit qu’une théorie scientifique doit être confrontée à la réalité, or, l’existence d’univers parallèles, qu’il soutient, ne peut jamais être testée puisque nous ne voyons, par définition, que notre univers.

Stephen Hawking évoque une création spontanée de ces univers. Mais sans en apporter la moindre preuve

. De plus, la théorie d’unification qu’il défend (la M-Théorie) est très, très loin d’être vérifiée.

 Lee Smolin a écrit un livre à ce sujet, Rien ne va plus en physique !  (Editions Dunod). Pour lui, la M-Théorie n’existe pas encore vraiment. Et si elle existe un jour, rien ne dit que nous pourrons la tester.

 Ces réponses sont donc à la fois contradictoires et insuffisantes. C’est la science elle-même et non la théologie qui pose la question de l’existence d’un créateur. Comme elle n’impose aucune des trois réponses que nous avons décrites ici, il est antiscientifique d’affirmer que la science permet de se passer d’un créateur.

 

Etienne KLEIN

 

« Dieu n’est pas réfutable par la science »

 

Le directeur du laboratoire de recherche sur les sciences de la matière du CEA s’interroge sur l’idée d’une théorie pouvant synthétiser la création de l’Univers.

 

Il y a quelques années, Stephen Hawking nous expliquait que nous pourrions bientôt connaître « la pensée de Dieu » (Une brève histoire du temps, Flammarion, 1989) grâce aux progrès de la physique. La pensée de Dieu ? Bigre ! comme s’il allait de soi que Dieu « pense », et qu’une équation pourrait révéler sa pensée ! Qui peut honnêtement promettre que la physique nous mènera aussi loin ?

 

Dans The grand design, Stephen Hawking rompt avec ses positions précédentes : « L’Univers n’a pas eu besoin de créateur, conclut-il. En raison de la loi de la gravité, l’Univers peut se créer de lui-même, à partir de rien. » Faut-il comprendre que dans le « rien » dont il est ici question se trouvait déjà la loi de la gravitation, de sorte que –si les mots ont un sens – ce rien n’était pas tout à fait rien ? Mais pourquoi ne pas dire alors que c’est la loi de la gravitation qui fait office de Dieu créateur ? Une bonne chute dans les escaliers deviendrait du coup une expérience authentiquement transcendantale, une sorte d’action de grâce…

L’incohérence du propos vient également d’ailleurs : Hawking s’appuie sur la théorie des supercordes, dont les principes permettent de prédire l’existence de la gravitation sans la postuler dès le départ. Mais alors, comment la gravitation peut-elle lui apparaître comme première par rapport à l’Univers (c’est elle qui le crée), alors même que le statut de cette force au sein de la théorie à laquelle il se réfère n’est que secondaire (au sens où elle est dérivable de principes plus fondamentaux qu’elle-même…) ?

La croyance en Dieu n’est pas réfutable par la science (ni d’ailleurs démontrable). Car pour démontrer l’existence que Dieu n’existe pas, il faudrait savoir très précisément qui Il est, dire quels sont les attributs de cet être dont on dit qu’il n’a pas de réalité. Or, comment connaître Dieu s’Il n’existe pas ?

 



[1] Notre existence a-t-elle un sens ? Presses de la Renaissance 2007

La science en otage Presses de la Renaissance 2010