Sections du site en Octobre 2009 :  Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour publier --  Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie --  Histoires de vie  --  Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –

 Le  webmestre.

 

RETOUR A LAPAGE D’ACCUEIL : CLIC            AUTEURS, TITRES DE TOUS  LES  ARTICLES : CLIC         SYNTHESE GENERALE: CLIC

 

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

                                                SEPTEMBRE 2007

                                            °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

 

LA  DERNIERE  LEÇON

 

                                          Noëlle  CHATELET

 

          Récit, Editions du Seuil, septembre 2004

 

                                      Extraits par Henri Charcosset

 

         « Noëlle Châtelet se risque ici au douloureux sujet de la fin de la vie. C’est la mort choisie de sa propre mère qui inspire un récit initiatique d’une beauté puissante et lumineuse ».

 

Note de Henri Charcosset :

 

La mère de N.C., âgée de 92 ans, est sans handicap physique ou psychique avéré majeur, même si elle est progressivement gagnée par l’usure, par la fatigue, par le rétrécissement de ses possibilités fonctionnelles. Je comprends tout à fait le raisonnement de cette vieille dame, on peut dire, en vocation de s’autogérer jusqu’au bout de son chemin de vie.

L’implication qu’elle fait de sa fille, Noëlle Chatelet, pour l’accompagner vers les derniers moments de sa vie, me surprend et « contrarie » davantage. Nos enfants de chair sont-ils nos enfants ? J’en doute ; ils sont eux, ni moins ni plus. Mais à chacun ses sensibilités.

Et à la mémoire de cette Nonagénaire, remerciement et respect pour nous avoir fait partager son propre cheminement final vers ce qui est notre destinée commune et qui reste empli de tant de mystère.

 

Extraits  de  l’ouvrage, c’est donc l’auteur du Récit qui s’exprime :

 

«PP76-77. La souffrance de ce corps chéri, rongé de mille maux, l’usure de ce corps aimé, martyrisé par le temps, me mettaient au désespoir… La vieillesse, la vraie, je l’avais devant moi et la trouvais abominable. C’est elle et son désastre qui t’obligeaient à renoncer, à rompre le contrat, elle qui faisait que « maintenant » était bien maintenant.

Voilà, nous y étions à la frontière, visible de toi seule, où tes pas devaient s’arrêter, où tu poserais ton bagage de vie, une vie pleine, riche, dont tu te semblais comblée, reconnaissante…

Comment ne pas entendre que, pour aller au bout de ton geste, il te fallait rassembler tant d’énergie que, si celle-ci s’épuisait, si tu parvenais trop tard à la frontière, tu n’aurais plus la force, ni physique, ni psychique, de l’accomplir ? D’où ton obsession sur l’état des lieux, le recensement incessant de tes facultés.

 

P78  Toi, la femme libre, pour qui l’autonomie avait toujours été, et plus que jamais était, un principe de vie, une raison d’être ; tu m’expliquais comme t’étaient intolérables la servitude de l’âge, les chaînes pour toi aliénantes de ta propre existence si elles devaient entraver d’autres que toi-même ?

 

P113 Toi qui ne croyais plus en Dieu, religieusement… la spiritualité tu l’as mise dans tous les objets conservés pour nous, riches par le simple fait que nous les avions partagés, qu’ils comptaient pour nous. C’était leur seule richesse.

 

P119  Il me semblait te revoir, tout aussi attentive, m’aidant à tenir ma fourchette ou ma plume pour mes lignes de o et de a. Tu m’apprenais ta mort comme tu m’avais appris à manger et à écrire, me reprenant, prête à voler à mon secours, prompte à me soutenir.

         « Tu me tiens hein ?

-         Mais oui, je te tiens ! »

Que j’ânonne, que je titube sur le chemin inconnu que tu me faisais prendre, tu t’y attendais. Tu me laissais parfois un peu souffler, mais il fallait repartir, quand même. Ne point trop traînailler en route. C’est que le temps pressait. Le temps…

 

P120  Il ne serait pas juste de dire que la souffrance pour moi fut pire les derniers quinze jours qui précédèrent ton geste. Ils étaient autres. C’est tout. J’étais autre…

 

P123  La religion n’était plus, mais la probité morale, oui. Etre fatigué était honteux, et la fatigue une forme de déshonneur que tes quatre-vingt-douze ans ne rendaient pas plus excusable à tes yeux.

Je t’ai vue pleurer de t’avouer fatiguée…

Ta fatigue crevait mes yeux et mon cœur.

 

P124 J’ai compris que si tu ne pouvais accepter la fatigue, c’est aussi parce que tu aimais trop la vie… Il faut parfois l’aimer très fort, la vie, pour préférer la mort… Il arrive que le choix de la mort soit un hymne à la vie.

 

P138-139  Toi, tu étais libre. Le choix de mettre fin à tes jours avait nom liberté. Une liberté, pour la sage-femme, indissociable de celle de la conception…

 Choisir la vie, choisir la mort relevaient de la même exigence. Une même logique : « Tu verras, un jour nous l’aurons, ce droit à la mort digne. Tu verras, cette bataille, nous la gagnerons aussi ».

 

P148  La dernière visite avant ta mort fut de toutes, la plus vivante. Nous sommes parvenues –jusqu’au moment de se quitter- à faire de ces heures passées ensemble quelque chose d’infiniment radieux.

J’ai compris que cette visite, tu la voulais identique à toutes les autres vécues depuis toutes ces années. Elle ne devait pas être différente, surtout pas. Rien à voir avec ce que j’avais pu me figurer. De nouveau j’ai pris la mesure de la simplicité du réel et j’en ai vécu la grâce autant que j’ai pu.

 

PP152-153  La leçon du jour, de ce dernier jour passé ensemble, ne fut pas la moindre. Je n’en ai gardé cependant que le souvenir ludique.

J’avais bien remarqué, en arrivant, les cartons remplis d’enveloppes près de la table de la salle à manger. Il s’agissait des lettres d’adieu. Quelque deux cents en tout….

Une fois de plus, il était clair que les cérémonies de la mort, tu n’en voulais pas post-mortem.