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Juillet 2010
A L’AUBE DE LA CHIRURGIE
Pierre Le
HIR
Le Monde,
samedi 6 février 2010
Archéologie :
Un squelette, déterré en région parisienne, prouve qu’il y a 7 000 ans des chirurgiens pratiquaient l’amputation et l’asepsie.
Un des rares témoignages des savoir-faire médicaux de la préhistoire
La
pièce à conviction est enfermée en lieu sûr dans un coffre de l’Institut
national de recherches archéologiques préventives (Inrap).
Trop fragile pour être exposée. Trop précieuse. Il ne s’agit pourtant que d’un
os - un vieil humérus -, comme les gratteurs de terre en ont exhumé des
milliers. Mais celui-là prouve que, voilà 7 000 ans, un homme a subi une
amputation et a survécu à l’opération. Il constitue le plus ancien témoignage
d’un tel acte chirurgical jamais découvert en France. Et un des très rares
attesté dans la préhistoire.
Pour
reconstituer la scène, Anaïck Samzun,
responsable des fouilles menées de 2003 à 2005, en vue de l’extension d'une
carrière de sable, sur le site de Buthiers-Boulancourt (Seine et Marne), à 70 km au sud de Paris,
exhibe d'autres fragments du squelette de l'amputé : un crâne poli par le
temps, un maxillaire édenté, une poignée de vertèbres, un fémur, un tibia, un
péroné, l'humérus droit, banal celui-là.
Nous
sommes au début du néolithique - la datation au carbone 14 donne une fourchette
comprise entre 4 900 et 4 700 avant notre ère -, à la fin de la culture dite de
Blicquy-Villeneuve-Saint-Germain, juste après la
civilisation du Rubané, caractérisée par les motifs à rubans de ses poteries.
Les premières communautés agropastorales, cultivant le blé et l'orge, élevant
des porcs et des moutons, prennent alors la place des derniers
chasseurs-cueilleurs du paléolithique.
Sur
le site actuel de Buthiers-Boulancourt
vivent quelques dizaines de ces paysans, dans sept grandes maisons de type
danubien, faites de bois enduit de pisé, dont ont été retrouvés les trous de
poteaux et plusieurs fours domestiques. A proximité des habitations, deux
ensembles de sépultures individuelles en pleine terre, où ont été ensevelis
cinq cadavres. Et, très inhabituel pour l'époque, un vase contenant les restes
charbonneux d'un corps incinéré.
L'une des fosses intrigue les
archéologues. Creusée dans un calcaire très dur, de forme oblongue, elle
est de dimensions atypiques : 2,5 mètres de long, 1,6 mètre de large et 1,5
mètre de profondeur, alors que les autres tombes, ajustées à la taille du
défunt, ne sont profondes que de 30 cm. L'individu qui y repose est couché sur
le flanc gauche en position fléchie, genoux surélevés, le corps aligné d'est en
ouest, la tête tournée vers le sud. Une posture caractéristique des inhumations
de cette période. Une première analyse anthropologique révèle qu'il s'agit d'un
homme, âgé, perclus d'arthrose et ayant perdu toutes ses dents.
Elément
insolite, un jeune agneau ou cabri, a été déposé à ses pieds, offrande ou
viatique pour l'au-delà. Un mobilier funéraire exceptionnel l'accompagne : un
grand pic en silex disposé en travers de son bras gauche, et une longue lame de
hache en schiste placée derrière son crâne. Des attributs qui lui valent au
sein de l'équipe de fouilles, le surnom de "Rocco". Et qui, plus
sérieusement, font penser qu'il jouissait d'un statut important dans le groupe.
Là
n'est pas le plus étonnant. L'avant-bras et la main gauche manquent à
l'inventaire, alors que la sépulture ne paraît pas avoir été perturbée par des
animaux fouisseurs, l'érosion ou les labours ultérieurs. En outre, le membre
supérieur gauche, sectionné au dessus de l'articulation, présente un bord
anormalement rectiligne. Les investigateurs pensent d'emblée à une amputation.
Mais sur des ossements aussi vieux, le diagnostic est difficile à poser.
Il
faudra une auscultation au scanner,
avec reconstruction de l'humérus en trois dimensions, pour le confirmer et
publier la trouvaille dans la revue Antiquity de décembre 2009. « L'examen écartant l'hypothèse d'une malformation congénitale, il
semble que l'homme ait d'abord subi un traumatisme - coup de hache, accident -
qui a partiellement arraché l'avant-bras en brisant les os, décrit Anaïck Samzun. Les parties encore en place ont alors été
sciées intentionnellement, sans doute avec une lame de silex. La découpe s'est
effectuée de la face antérieure vers la face postérieure de l'os, et le poids
de l'avant-bras en extension, ou peut-être la traction exercée par le
chirurgien, ont rompu les derniers millimètres. »
Il
y a mieux. Les radios montrent que l'humérus
a cicatrisé, donc que l'amputé a survécu - quelques mois et quelques années
- à l'intervention. Cela, sans trace d'infection. Ce qui signifie que le
manieur de bistouri « savait aussi
stopper une hémorragie et possédait une bonne pratique de l’asepsie. »
Deux
cas seulement d'amputation étaient jusqu'ici connus, en Europe, pour le
néolithique ancien. Tous deux dans la culture du Rubané, c'est-à-dire un peu
plus vieux que celui de Buthiers-Boulancourt
: l'un à Sondershausen, en Allemagne, l'autre à Vedrovice, en Moravie (République Tchèque). Ce n'étaient
sans doute pas les premiers : la possibilité d'une telle opération a été
suggérée pour deux Néandertaliens du paléolithique moyen, l'un en Irak, doté
d'un humérus atrophié, l'autre en Croatie, privé d'une main. Mais ces exemples
restent rarissimes.
Les cas de trépanation, en
revanche, sont beaucoup mieux documentés, surtout pour le néolithique
récent. On en recense, dans la seule Europe, près de six cents. Et, sur le site
pakistanais de Mehrgarh, dans une nécropole vieille de 9 000 ans, a été exhumé
un jeu de molaires dans lesquelles, pour traiter des caries sans doute, des
apprentis dentistes avaient pratiqué des perforations, à l'aide de perçoirs en
bois à pointe de silex probablement actionnés par un archet. Une technique
empruntée aux artisans bijoutiers.
« Les hommes du néolithique,
et vraisemblablement leur aînés déjà, possédaient un savoir-faire médical et
chirurgical dont nous n’avons que très peu de traces, de surcroît sur des
ossements souvent mal conservés, commente la chercheuse. Quand ces interventions étaient pratiquées
sur les parties molles du corps, il ne nous en reste plus aucun
témoignage. » Pour soulager les maux, poursuit-elle, « ils disposaient sans doute d'une
pharmacopée à base de plantes, dont on sait peu de chose ».
Des
graines et des pollens ont été retrouvés sur de nombreux sites. Mais rien ne
permet de savoir s'ils provenaient de plantes ou de fruits à l'usage
alimentaire, ou dotés de vertus médicinales.
Soins, rituels et
entraide
Les
causses français ont été de grands pourvoyeurs de trépanés des « âges farouches » : 160
crânes perforés, dont une soixantaine dans la seule grotte de Baumes-Chaudes
(Lozère), où furent découverts, à la fin du XIXème siècle, plusieurs centaines
de squelettes du IIIème millénaire avant notre ère.
Certains
préhistoriens y ont vu un développement de la chirurgie crânienne liée à une
multiplication, au néolithique finissant, des actes de guerre, donc des
blessures par flèche ou coup de hache. Hypothèse corroborée par l'observation,
sur d'autres sites, de trépanations majoritairement pratiquées dans la partie
frontale ou pariétale gauche de la tête, plus exposée à l'arme d'un droitier.
Dans
une étude sur les « Visages de la violence préhistorique » (Le Sentier de la guerre, Seuil, 2001),
Jean Guilaine spécialiste du néolithique, et Jean Zammit,
paléopathologiste, réfutent cette idée. Les crânes
caussenards, aussi bien masculins que féminins, arborent des incisions
indifféremment à droite, à gauche ou au milieu. Constats qui « ne permettent guère de déductions
sérieuses sur le lien entre guerre préhistorique et trépanations ».
La
finalité la plus vraisemblable de ces découpes - mais ce n'est que supputation
- est thérapeutique. L'orifice
creusé dans la boîte crânienne, sans doute par un burin en silex, aurait visé à
réparer un traumatisme, soulager une migraine tenace, voire, comme cela a été
constaté dans des sociétés traditionnelles modernes, guérir des troubles
mentaux.
La
trépanation pourrait aussi avoir rempli une fonction rituelle - tout aussi
spéculative - a fortiori quand elle était réalisée post mortem. On a ainsi
retrouvé des rondelles d'os pariétal portées en pendentif, comme une amulette
protectrice. Autre indice : un très vieux crâne de la culture capsienne (Xème -
Vème millénaire avant J.-C.), appartenant à l'un des derniers
chasseurs-cueilleurs dans l'est de l'Algérie, a révélé une ablation de toute la
partie postérieure, ainsi qu'un implant dentaire en os plus esthétique qu'utile
à la mastication. Des « modifications » vues par la préhistorienne Louiza Aoudia-Chouakri
comme des « gestes rituels visant à
préparer un corps à une cérémonie qui dépasse probablement le cadre
funéraire ».
Ces
trépanations, cicatrisées pour la plupart et auxquelles la grande majorité des
opérés ont donc survécu, donnent l'image de sociétés solidaires à l'égard des
individus physiquement diminués. Pour Jean-Paul Demoule,
professeur de protohistoire européenne à l'université de Paris-I, ces gestes,
au delà de leur rôle curatif ou de leur valeur symbolique, « montrent qu'existaient,
chez Homo sapiens, des règles de solidarité nécessaires au bon fonctionnement
de toute société, aujourd'hui comme il y a près de 10 000 ans ».