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Janvier 2015
« JE NE SUIS PAS TIBETAIN, JE NE SUIS
MEME PAS BOUDDHISTE.
JE SUIS EXACTEMENT PAREIL QUE VOUS. »
ENTRETIEN
EXCLUSIF AVEC LE DALAÏ-LAMA
Le Monde des
Religions, Novembre-Décembre 2014
Le dalaï-lama ne donne pratiquement plus d’interviews.Exceptionnellement, car nous le connaissons depuis fort longtemps, il a confié au Monde des Religions ses inquiétudes quant au terrorisme de l'État islamique, ses craintes sur la Chine et l'avenir du Tibet, sa fatigue du protocole et ses espoirs d'un XXIe siècle de dialogue interreligieux. Propos recueillis par François Gautier* à New Delhi (Inde)
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Le dalaï-lama avec notre
collaborateur François Gauthier |
*François
Gautier, qui vit à Auroville (Inde),
est rédacteur en chef de La Revue de l’Inde.
D |
ans ce
palace de la capitale indienne, tous les regards se lèvent lorsqu'un moine jaïn
—
entièrement nu — fait son entrée ; puis vient un rabbin coiffé de
sa kippa, suivi d'un évêque drapé de rouge, à l'ancienne ; un imam,
tout de blanc vêtu, apparaît ensuite, en compagnie de moines bouddhistes ;
enfin, on aperçoit un prêtre zoroastrien et son étrange chapeau conique... À la
porte de la salle de conférence, sa Sainteté Tenzin Gyatso, 14e dalaï-lama, Océan de Sagesse, Tout
Parfait, Lotus Vénérable, debout malgré ses 79 ans, accueille chacun des
délégués les mains jointes, un éternel sourire aux lèvres. Bienvenue à la
conférence « d'harmonie interreligieuse pour la paix » organisée par le
gouvernement tibétain en exil.
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« Je dis d'ailleurs toujours aux
gens qu'au lieu de considérer qu'il y a qu'une seule vérité et une seule
religion, il faudrait accepter qu'il existe plusieurs vérités et plusieurs
religions. » Marche pour la paix
organisée à Birkenau (Pologne) par la comunauté Saint'Egidio en septembre 2009. |
Votre Sainteté, vous organisez une remarquable conférence interreligieuse. Mais aujourd'hui, les hommes ne continuent-ils pas de s'entretuer au nom des religions ? Même des bouddhistes massacrent des musulmans au Myanmar !
● |
C'est vrai. J'en suis extrêmement
triste et j'ai fait remontrance aux bouddhistes du Myanmar... Je dis d'ailleurs
toujours aux gens qu'au lieu de considérer qu'il y a qu'une seule vérité et une
seule religion, il faudrait accepter qu'il existe plusieurs vérités et de
nombreuses religions (silence)... En même temps, je ne veux pas que les gens se
convertissent d'une religion à une autre : je suis bouddhiste et pour moi
le dharma (chemin spirituel) du Bouddha reste une vérité éternelle et
universelle ; vous êtes chrétien et vous devez le rester. Cela pourrait
sembler une contradiction, mais les deux vérités se complètent.
Vous êtes prix Nobel de la Paix et votre sincérité est rarement mise en cause − hormis par les Chinois. Croyez-vous qu'il en soit de même pour les autres leaders spirituels ?
● |
On constate aujourd’hui, il est
vrai, qu'un fondamentalisme particulier s'est glissé dans certaines religions.
Cependant, toutes ces traditions spirituelles existent depuis des milliers
d'années et on ne peut pas les changer. Ça, c'est la réalité. Ainsi, pour cette
communauté religieuse ou cette autre, leur Dieu est la seule vérité qui compte.
Mais les temps changent et si vous observez l'Église catholique
, le pape François est un homme tout à fait remarquable, qui lui-même a
initié de nombreux dialogues interreligieux. L'Occident prend donc conscience
qu'il existe d'autres traditions spirituelles dans le monde, parfois
considérées comme « païennes », ce qui est totalement nouveau... (silence)
|
« Nous, les Tibétains, sommes en
train de payer un vieux karma de
féodalisme et de manque d’ouverture au monde. » |
On pourrait appeler cette nouvelle conscience interreligieuse une « éthique laïque », qui je crois peut apporter une certaine tranquillité d'esprit et même une paix et un bonheur intérieurs, car ces tensions interreligieuses ont provoqué de nombreuses guerres et sévissent encore aujourd'hui. (Le dalaï-lama fait une autre pause)
Prenez par exemple un singe mâle, physiquement très
fort et puissant, qui règne sur le groupe et effraie les plus faibles. Ce singe
est aussi un animal social et, même s'il a un sens limité de l'altruisme, sa
survie dépend du reste de la communauté.
De fait, biologiquement, les animaux ont eux aussi un instinct collectif qu'on
pourrait presque appeler un certain amour de l'autre. Voilà ce que j'appelle «
éthique ».
Chez les humains, ce sens collectif est
intelligent ; au lieu de s'étendre seulement au groupe, il peut toucher
l'humanité entière, et même inclure les animaux ou la nature. Cette éthique est
donc universelle. Je le répète d'ailleurs très souvent : l'amour est une
religion universelle — et pas seulement une
philosophie. Cet amour et ce respect des autres religions devraient être promus
dès le jardin d'enfant grâce à des méthodes logiques et scientifiques. Ainsi,
la peur et la haine disparaîtraient-elles graduellement de l'humanité.
Que pensez-vous de la décapitation des otages par les djihadistes de l'État islamique (IE) ?
● |
Terrible (silence). C'est le plus grand danger auquel l'humanité fait face aujourd'hui.
? LEXIQUE Djihad Cette
notion, en arabe, fait d’abord référence
à l’effort que fait le croyant pour
se perfectionner intérieurement, et
non à la « guerre sainte ». |
Quelle est la solution ?
● |
Tout le monde a peur, car de nombreux musulmans
occidentaux rejoignent l'EI. Il faut absolument ouvrir un dialogue avec ces
terroristes. Mais pour l'instant, le seul dialogue qu'ils connaissent est celui
de la violence et du fusil. C'est une très ancienne habitude chez les
musulmans, qui semble avoir pris une ampleur critique durant ce siècle
(silence). Dans leur colère, ces gens seraient même prêts à tuer avec une bombe
nucléaire... C'est donc la racine de cette violence que nous devons guérir, car
elle est la source du problème et elle est conditionnée par le manque de
contacts interreligieux dans l'islam. J'ai dit la même chose aux israéliens
lorsque je me suis rendu à Jérusalem : « Hitler était aussi un homme et
en tant que bouddhiste, j'ai de la compassion pour lui car il a commis de
nombreux crimes, qu'il devra payer dans des vies successives ― c'est la loi du Karma. »
Qu'ont répondu les israéliens ?
● |
(Le dalaï-lama sourit) Ils ont été très choqués !
« Depuis l’âge de 3 ans, j’ai été enfermé dans le carcan du protocole. Et j’en suis venu à le haïr. » |
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« J’ai maintes fois offert au gouvernement chinois
de nombreuses concessions (pour le Tibet), proposant seulement une autonomie
spirituelle et régionale réduite. La police népalaise emporte une nonne tibétaine manifestant devant l'ambassade de Chine de Katmandou, mars 2008. |
Quelles sont les motivations de l'EI selon vous ?
● |
Je crois que les djihadistes de l'EI aiment tellement l'islam que leurs émotions deviennent incontrôlées ; et du coup leurs actions sont extrêmement violentes. Notre première tâche serait de calmer ces émotions, en leur démontrant que nous sommes tous semblables et qu'il n'y a pas de différences fondamentales entre un musulman, un chrétien ou un bouddhiste. C'est la peur qui amène la violence... (Après une pause) Mais il est vrai que les deux actions doivent être menées simultanément : une réponse « musclée » au terrorisme, couplée au dialogue avec l'islam modéré. |
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« Ce que je dirais à mes sœurs et frères musulmans
― même à ceux de
l'EI islamique : “Vous êtes sortis comme
nous du ventre de votre mère qui vous a aimés et chéris. Pourquoi cette
cruauté ?” Votre djihad doit
être intérieur... D'ailleurs, le dalaï-lama fait souvent le djihad
contre lui-même. » |
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Quel serait le message du 14e dalaï-lama à l'EI ?
● |
Ce que je dirais à mes sœurs et frères musulmans ― même à ceux de l'EI : « Vous êtes tout de
même des êtres humains, vous ne pouvez pas le nier ; vous êtes sortis
comme nous du ventre de votre mère qui vous a aimés et chéris ; vous avez
connu l'amitié et la chaleur humaine ― que vous le vouliez ou non. Pourquoi cette
cruauté ? Est-ce à cause d'une grande douleur ? Il faut absolument
que vous dialoguez avec nous et que vous puissiez ouvrir les portes de votre
cœur » (pause). Votre djihad*
doit être intérieur... D'ailleurs, le dalaï-lama (en se montrant du doigt) fait
souvent le djihad contre lui-même. (Après une autre pause) La paix peut
aussi arriver par la prière, et le XXIe siècle devra donc être le
siècle du dialogue.
Vous
êtes donc optimiste quant au dialogue avec l’islam ?
● Oui, regardez l’Inde : c’est le seul pays où différentes religions ont cohabité paisiblement depuis deux millénaires, même s’il y a eu ici et là quelques problèmes inévitables. Il y a ici des chiites, des sunnites et des ahmadis (minorité musulmane non reconnue) ; ils ne s’entretuent pas les uns des autres. L’Inde est donc un exemple à suivre pour le monde. Vous trouvez également en Inde le concept de l’ahimsa, la non-violence absolue, que nous, bouddhistes, avons repris. C’est un concept absolument nécessaire pour une paix internationale durable.
Vous
avez souvent parlé du « karma noir ». Pouvez-vous expliquer à nos
lecteurs ce que cela veut dire ?
● Le karma est une loi tout à fait logique et compréhensible : toutes les actions, bonnes ou mauvaises, que vous commettez dans cette vie, ont une conséquence inéluctable. Toute mauvaise action, même sans conséquence immédiate, se paie dans cette vie ou dans une autre. Il n’y a donc pas d’injustice, même si parfois il nous semble que des êtres innocents souffrent terriblement et inutilement. Il en est de même pour une nation : nous, les Tibétains, sommes en train de payer un vieux karma de féodalisme et de manque d’ouverture au monde. Une fois que ce karma sera payé, nous retrouverons notre liberté et notre plénitude.
Vous
avez également évoqué le karma noir des Chinois, qui ont tué près d’un
million des vôtres…
● Sans aucun doute, les Chinois devront payer ce karma noir. Je pense même à Mao Tsé-toung qui a affamé et tué des centaines de milliers de ses compatriotes. (Après un silence). Mais il me semble qu’il y a un changement important en Chine. Je remarque par exemple des milliers d’articles de Chinois qui critiquent leur propre gouvernement, et certains qui vont jusqu’à soutenir notre demande pour plus d’autonomie au Tibet… Même le président chinois, lors d’une visite en France, a publiquement admis que le bouddhisme a joué un rôle très important dans la culture chinoise. Peut-être une évolution est-elle en train de se produire parmi les communistes chinois. (Après une pause) Mais il faut attendre, car les Chinois sont très prudents.
Quel est l’avenir du
Tibet ?
● (Long silence) Je reste inquiet… Les Chinois, même s’ils ont de vastes contacts économiques avec le reste du monde, demeurent très isolés mentalement. (Long silence) J’ai pourtant maintes fois offert au gouvernement chinois de nombreuses concessions, proposant seulement une autonomie spirituelle et régionale réduite, la Défense et les Affaires Étrangères restant entre leurs mains. Mais ils continuent à refuser — et quelques fois je perds espoir…
L’Inde et la Chine
sont en conflit frontalier. Qu’en pensez-vous ? (NDLR :
la Chine revendique tout l’État indien de l’Arunachal
Pradesh)
● Pas seulement l’Inde, mais aussi les Philippines, le Japon, le Vietnam, qui, eux, ont des conflits maritimes avec la Chine… Je crois que ces tensions sont dues à une peur inhérente que la Chine ressent vis-à-vis de ses voisins, une sorte d’énorme insécurité ancestrale. Les Chinois devraient comprendre que ni l’Inde, ni le Japon ne peuvent détruire la Chine. Si cette peur s’en va et que la Chine réalise qu’elle est en totale sûreté, alors les relations peuvent s’améliorer avec les voisins… (silence) Malheureusement, il y a une paranoïa en Chine…
Nous souhaitons tous
que vous viviez le plus longtemps possible, mais que va-t-il se passer après
vous ?
● Vous
savez déjà sans doute que depuis 2001, je suis en semi-retraite
et je laisse au gouvernement tibétain (en exil) le soin de prendre toutes les
décisions importantes.Je vais sans doute être le
dernier dalaï-lama réincarné. C’est-à-dire que si la lignée des dalaï-lamas
doit continuer, le prochain devra être élu démocratiquement, comme je l’ai
souvent indiqué…
Mais vous devez
savoir que c’est grâce à vous que le monde est devenu conscient du triste sort
des Tibétains. Que va-t-il se passer lorsque vous ne serez plus là ?
● (Silence) Depuis l’âge de 3 ans, j’ai été enfermé dans le carcan du protocole. Et j’en suis venu à le haïr. Je vis également en Inde en tant que réfugié depuis 1959, et ça n’a pas toujours été facile. Mais plus que toute autre chose, je ne veux pas être réincarné en tant que dalaï-lama, car je me considère comme un être humain exactement comme 7 milliards d’autres. Je ne suis pas tibétain, je ne suis pas asiatique, je ne suis même pas bouddhiste — je suis exactement pareil que vous : nous avons tous des émotions, nous voulons tous vaincre la souffrance et vivre heureux avec le minimum requis. Ensuite, en tant qu’être humain, je dépends des 7 milliards d’autres êtres humains. Même le Bouddha a dû mendier sa nourriture.Vous constaterez qu’aujourd’hui, nous dépendons tous les uns des autres : l’Orient dépend de l’Occident — et de plus en plus l’Occident va dépendre de l’Orient. Cette interdépendance représente le futur de l’humanité.
Et
la France, votre Sainteté ?
● (Le dalaï-lama part d’un grand rire tonitruant) J’aime beaucoup les Français car ils ont le sens de l’humour… Je me sens à l’aise chez vous…
Savez-vous
que près d’un million de Français s’intéressent au bouddhisme tibétain ?
● Oui, je le sais, mais je ne cherche pas à convertir.
La France est un pays chrétien et devrait le rester. ▐
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₢ À LIRE Le Monde des Religions n° 67, juillet- août 2014 : la saga des dalaï-lamas 6,90
€. En vente sur www.lemondedesreligions.fr ou par téléphone au 01 48 88 51 04. |