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Octobre
2014
LA CREMATION, UNE RUPTURE ANTHROPOLOGIQUE MAJEURE
Le Monde, Samedi 2 à Lundi 4 novembre 2013
Au complexe funéraire de Grammont, à Montpellier. DAVID LATOUR/CIRIC |
Aujourd’hui, 32% des décédés sont incinérés, un
basculement, opéré en moins d’une génération, qui repose la question des rites funéraires
C |
’est un changement
d’une rapidité fulgurante pour des pratiques qui remontent à la nuit des temps
et constituent l’essence des sociétés humaines : les rites funéraires.
Alors que les morts étaient inhumés depuis des milliers d’années,
la crémation est devenue un phénomène de masse en France depuis une génération.
Aujourd’hui, 32% des décédés sont crématisés (le mot
incinérer est jugé trop trivial par les spécialistes). Le taux dépasse 50% dans
les grandes villes. Selon un sondage Ipsos effectué auprès de 1 009 personnes
pour les services funéraires de la Ville de Paris et paru le 17 octobre, une
majorité de Français souhaite y avoir recours (53%, contre 47% en faveur d’une
inhumation).
Il s’agit surtout d’une
rupture anthropologique majeure. Comment expliquer un bouleversement aussi
profond et rapide ? Le coût moins important est une explication très
partielle. La perte d’influence de la religion catholique, qui, contrairement
au protestantisme, est attachée à la permanence du corps après la mort, est
sans doute un facteur plus important. Le sondage Ipsos en témoigne. Les
croyants et pratiquants préfèrent largement l’inhumation (75%), tandis que les
non-croyants et athées choisissent la crémation (69%). Cette dernière est
cependant tolérée par l’Église catholique depuis 1963.
D’autres évolutions des mentalités participent à ce
succès. « Notre société idéalise le corps qui est maîtrisé jusqu’à la mort,
analyse François Michaud-Nérard,
directeur des services funéraires de la Ville de Paris. Et après on le
laisserait pourrir entre 4 planches ? » « Le feu a un côté aseptisant.
C’est une façon de nier le cadavre et de liquider l’imaginaire de la
décomposition, confirme l’anthropologue et professeur à l’université
Paris-Descartes Jean Didier Urbain. Ses progrès vont de pair avec le déni de
la mort et de sa réalité biologique. » Alors qu’elle est constamment
présente sur les écrans, la mort réelle est de moins en moins tangible, les
corps sont plus rarement exposés, le deuil n’est pas porté, le langage est euphémisé (on parle de départ,
de disparition, etc.)
Les partisans de la crémation affirment ne pas
vouloir peser sur les vivants.
« Les gens vivent de plus en plus longtemps, mais pas en bonne santé,
décode M. Michaud-Nérard. Ils ont le sentiment
d’être une charge et ne veulent plus l’être après leur mort. »
« Les progrès
de la crémation vont
de pair avec le déni
de la mort et de
sa réalité biologique »
anthropologue
L’argument écologique est aussi avancé par les partisans de la crémation – de façon paradoxale, car le fait de brûler les corps dégage des toxines, à tel point qu’il faut équiper les crématoriums de filtres. L’éclatement contemporain des familles entre également en compte. « Nous ne sommes plus dans la France des villages, où tous les morts de la famille étaient au même cimetière juste à côté », constate Patrick Baudry, professeur de sociologie à l’université de Bordeaux-Montaigne. Comment entretenir une tombe à Strasbourg quand on vit à Bordeaux ?
Une évolution renforce cette analyse : l’idée que chacun doit
prendre en charge ses propres obsèques progresse. Ainsi, 44% des sondés d’Ipsos
jugent que c’est au futur défunt de payer le coût des funérailles, contre 35%
qui pensent que la famille doit le faire. Sur ce chiffre, quelque 31%
souhaitent prévoir leur financement et leur déroulement détaillé, 33% juste
leur financement et 8% leur déroulement seul.
« Les obsèques avaient pour fonction d’acquitter une dette symbolique envers ceux qui ne sont plus là. Cette idée tend à disparaître » Damier Le Guay
philosophe |
Une évolution qui peut poser problème. Les funérailles servent avant
tout aux vivants à surmonter le deuil et les volontés du mort ne correspondent
pas forcément à celles des proches. Or la crémation reste une violence
symbolique importante. Elle est d’ailleurs moins souvent choisie quand les
morts sont des enfants (autour de 30% contre 48% de crémation moyenne selon une
étude portant sur plus de 3000 obsèques à Paris).
« Dans la crémation, il y a un raccourcissement du temps, explique Marie-Françoise Bacqué, psychologue et présidente de la Société de
thanatologie (qui rassemble les chercheurs spécialisés). Passer d’une
personne à 2 litres de cendres en quelques heures, c’est difficile à supporter.
Autrefois, on avait quelque chose de plus progressif. »
« La décrépitude du mort et le processus de deuil s’accompagnaient »
complète M. Le Guay.
L’essor de la crémation a pendant un temps posé la question du statut
des cendres, qui pouvaient être ramenées au domicile, au risque d’anéantir la
séparation entre vivants et morts marquée par la sépulture et le cimetière et
indispensable au deuil. Désormais, la conservation à domicile est interdite et la
dispersion réglementée. Signe que le besoin de localisation des
morts reste important, les cendres commencent à emprunter le même devenir que
les corps. Selon une étude réalisée au crématorium de Champigny-sur-Marne en
2013, 55% des cendres étaient inhumées (en caveau ou columbarium), contre 16%
dispersées au jardin du souvenir, et 22% ailleurs.
La question de la célébration des funérailles
se pose désormais. « La pauvreté cérémonielle de certaines crémations est
sidérante », affirme M. Le Guay. Le sujet est encore plus vaste. Que faire
quand le rite n’est pas pris en charge par l’Église ? Le besoin de
cérémonie reste très fort chez les Français (75% en souhaitent pour eux-mêmes
et 77% pour leurs proches). Selon les observateurs, des progrès importants ont
été effectués par les entreprises de pompes funèbres lors des crémations. Mais
les lieux restent impersonnels et l’organisation dépend beaucoup de
l’implication des la famille.
« Il n’est pas facile d’inventer des rites », souligne M. Urbain.
« Une société doit se
préoccuper des rites funéraires car ils ont un effet sur la santé psychique, prévient M. Baudry. Une cérémonie
bâclée peut être la source de deuils compliqués. Selon lui, les
collectivités locales sont les principales concernées mais pas seulement :
« Les architectes, les paysagistes, les artistes devraient aussi être
impliqués. » M. Le Guay en appelle aux élus de la nation, non pour
légiférer, mais établir une charte éthique. « Le sujet concerne 500 000
personnes an et 3 millions d’endeuillés, lance-t-il. C’est trop
important pour être abandonné aux opérateurs funéraires et au libre jeu du
marché. ■
Comment
parler de la mort aux enfants
|
|
La Société de thanatologie est partie d’un constat : les adultes ont du mal à parler de la mort aux enfants, en particulier lors- que le corps est crématisé,
et sont de plus en plus réticents à les faire assister
à la cérémonie de peur de les traumatiser. Esti- mant
qu’il est au contraire impor- tant que la réalité leur soit expli- quée,
la société a conçue un gui- de illustré à destination à la fois |
des parents et des enfants (www.mort-thanatologie-france.com).
des cendres, etc. « Les enfants ont du mal à accepter le fait de brûler un corps, dit le texte. Parler
de la crémation est nécessaire mais, pour cela, l’adulte doit être capable de
dire à son enfant que la mort est irréversible. » |
« Je ne souhaite pas imposer
à mes enfants le culte des morts »
Témoignages
Nous avons lancé un appel à témoignages sur LeMonde.fr, mardi 29 octobre, pour savoir comment nos lecteurs envisageaient leurs obsèques. Une large majorité d’entre eux ont répondu préférer la crémation. Extraits.
Guillaume,
29 ans, responsable projets à Argenteuil. « J’ai connu quelques enterrements de
proches et je trouve l’inhumation morbide comme tradition, surtout quand on
sait réellement ce qu’il se passe sous la pierre tombale. Cela crée un lien
géographique morbide avec ceux qui restent.
Je souhaite être incinéré et que mes cendres soient dispensées pour deux raisons. Tout d’abord, je ne veux pas imposer à ma famille le pèlerinage macabre sur une tombe, qui plus est au milieu d’autres anonymes. Il s’agirait pour moi d’un ultime acte d’égoïste envers mes proches que de les liér à un lieu de sépulture qui serait plus proche de certains que d’autres. Ensuite, je pense que c’est leur rendre service que de ne pas lier ma disparition à un lieu précis de “pèlerinage”. Je pense que cela permet plus facilement à ceux qui restent de tourner la page et d’aller de l’avant, ne serait-ce que dans le symbole de répandre mes cendres, actant vraiment la “disparition”. Mon décès ne resterait que dans les esprits des personnes pour qui je compte vraiment, mon souvenir vivra à travers eux. Je n’ai pas besoin de plus. J’envie les cultures où un décès est très rapidement synonyme de fête en l’honneur du défunt. C’est pour moi la meilleure façon de rendre hommage.
Mireille,
65 ans, retraitée à Pontoise.
« Mon mari est décédé brusquement d’un problème cardiaque à 61 ans. Ce fut un
séisme pour toute notre famille.
Nous nous sommes souvenus qu’il parlait d’incinération, puis de dispersion de
cendres dans la mer. Cela fut fait.
Une cérémonie civile très émouvante a été organisée avant la dispersion dans la
mer, depuis un bateau, en présence de tous les proches. Un geste très fort, car
définitif. Il nous reste des photos, des écrits, des objets et quelques films.
Lorsque je mourrai à mon tour, le même cérémonial sera observé. Nos enfants n’auront pas à se charger de l’entretien de nos tombes, comme je le fais pour nos parents respectifs. Nous parlons souvent de lui et l’associons à notre vie. C’est bien mieux qu’une pierre. Lorsque nous regardons la mer, nous pensons à la couleur de ses yeux…. »
Sarah.
« Je ne
sais pourquoi, mais je ne me vois pas partir en fumée. En revanche, j’aimerais
pouvoir me décomposer lentement et participer à la vie de la multitude, qui
vit, par exemple dans un sol forestier. Ne pas brûler, mais être libérée du cercueil ! “La
crémation ! plutôt mourir”, c’est l’une de mes expressions favorites. »
Marie-Josée,
56 ans, enseignante à Toulouse. « J’ai toujours voulue être incinérée. Je dis bien
“incinérée” et pas “crématisée”, que je trouve très
vilain ! J’ai indiqué à mon entourage cette volonté, que je suis la
première à exprimer. L’idée du pourrissement du corps m’a toujours gênée, et je
préfère le côté purificateur de feu. J’adore le feu, sa chaleur, son odeur, son
bruit, et finir dans les flammes me paraît la meilleure façon de quitter cette
terre. Le fait d’être réduite en cendres, en poussière, me convient
parfaitement.
Le culte des morts me paraît dérisoire, même si je le respecte et le pratique pour mes parents. Je ne souhaite pas l’imposer à mes enfants, à qui je n’ai pas transmis de culture religieuse. »
Martine,
59 ans, agent administratif.
« Le choix de la crémation a déjà été fait dans ma famille, par deux fois.
L’une avait pour raison le coût, l’autre, la pollution. Je l’ai bien vécu à
chaque fois, comme un choix fait pour la protection des générations futures.
Les deux cérémonies, bien qu’éloignées dans le temps, ont laissé selon moi une
large part à l’expression de la famille, par l’écoute de la musique, la lecture
de poésies, plus un temps de réflexion ensemble. C’est ce que je souhaite pour
moi, mes enfants étant avertis depuis longtemps.
Le corps n’est qu’une enveloppe qui doit disparaître. Peu m’importe le destin de l’urne. » ■