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Mars
2010
LES CORPS DE LOUIS XIV
Pascal DREYER
et
HERVE
GUIBERT : DU CORPS JOUISSANT AU CORPS SOUFFRANT
Arnaud GENON
La Faute à Rousseau n°37 -
octobre 2004
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Les corps de Louis XIV
par Pascal Dreyer
Journal de santé de Louis XIV, précédé de La lancette et le sceptre par Stanis Perez, éditions Jérôme Millon, Collection Mémoires
du corps, 2004, 448 pages.
De Louis XIV, notre
imaginaire possède plusieurs images. Mais toutes ont en commun, depuis celle
d’un roi-enfant placé sous l’autorité de sa mère à celle du vieux monarque
poussé sur son trône à roulettes vers les plus beaux points de vue de
Versailles, de s’attacher moins à des valeurs morales qu’à figurer un état du
corps royal. Mais nous n’en saurions véritablement rien si l’institution
monarchique n’avait pas laissé le témoignage de la médecine appliquée au corps
du roi durant plus de cinquante ans. Les Remarques
sur la santé du Roi sont le récit au mois le mois des maladies (grandes et petites ) du roi et remèdes qui leur sont apportés de 1652 à
1711. Sans ce témoignage précieux, nous ignorerions tout des trois corps de
Louis XIV.
Louis XIV n’a
eu que trois médecins: A. Vallot, A. d’Aquin et G.-C. Fagon. Ce sont eux qui
ont rempli scrupuleusement les cahiers, autant en courtisans fidèles qu’en
hommes de science. Comme il se doit, tant en religion qu’en médecine, tout
commence par une généalogie. Louis XIII est plutôt faible de constitution : «
on avait sujet, durant la grossesse de la reine-mère, d’appréhender que ce
royal enfant ne se ressentît de la faiblesse du roi son père. Ce qui
indubitablement serait arrivé, si la bonté du tempérament de la reine et sa
santé héroïque n’avaient rectifié les mauvaises impressions de ses premiers
principes ». La médecine fera ensuite tout le reste. Ce qui n’est pas une mince
affaire. Jeune, Louis XIV est gourmand et son régime carné et très sucré lui
vaut bien des ennuis de transit et autres gonflements du ventre. Il aime aussi
l’amour et attrape toutes sortes de maladies inconnues. Le gentilhomme chargé
de la garde-robe et le médecin sont les premiers à découvrir sur la chemise
royale des traces mystérieuses d’écoulement. Le roi ne dit mot. Le médecin
diligente une enquête presque européenne et guérit la blennorragie. Mais, bien
sûr, le principal remède sera, du début à la fin du règne, la saignée. On
soutire au roi des litres de sang censés faire baisser la pression dans sa
tête, dans les corps caverneux et dans les poches dont son corps est constitué.
Louis XIV accepte les coups de lancette et absorbe sans rechigner les remèdes
épouvantables de goût. Il refuse toutefois l’énergétique eau de limaille
(infusion de copeaux métalliques ). Il préfère l’eau
thermale!
Trois corps donc. Il y a tout d’abord le corps chrétien
de Sa Majesté, que Bossuet, dès les débuts du règne, essaye de tempérer et de
rendre conforme à son origine divine. C’est certainement de ce corps-là que
Louis XIV aura eu le plus conscience. Il sait sa puissance d’évocation ; il
connaît sa symbolique et la nécessité qu’il a de paraître inchangé et «
immutable ». Les médecins ne peuvent rien dire de ce corps qui échappe à leur
contrôle, voire même à leur perception. Il prend place dans l’imaginaire
personnel du roi, dans ses convictions intimes et dans la façon dont il incarne
dans ce monde le plan divin. Bossuet s’attache à démontrer, dans ses célèbres
sermons du Carême du Louvre de 1662, la vanité du corps mortel et l’exigence
absolue des rois à le transformer en chair de gloire. Le jeune roi, agacé par
les allusions à sa liaison avec Louise de la Vallière,
assiste alors de manière irrégulière au Carême. Bref, il faut que chacun purge
son âme, le roi le premier, lui dont le corps de gloire est un exemplum vivant.
Ensuite, il y
a le corps
destiné à la Cour. Corps léger et dansant des débuts du règne. Puis
corps qui doit obéir à toutes les servitudes, incarner inlassablement les rôles
qui lui sont donnés. Le roi mène une vie dont le rythme est épuisant. Il a de la fièvre, est souvent malade. Il se blesse
l’épaule ou la jambe. Les médecins l’accompagnent dans ses déplacements,
s’improvisent diététiciens. Ils tentent de purger la vie quotidienne du roi de
ce qui l’encombre tout en restant dans le domaine qui est le leur : celui
de la conservation des apparences.
Enfin il y a
le corps
réel. Il constitue le sujet principal des Remarques. Le roi en semble comme détaché, comme si le sujet Louis
XIV ne l’habitait que par nécessité. C’est le seul lieu d’exercice véritable
des médecins. Ils inventent pour lui onguents, crèmes, dépuratifs. Ils
l’auscultent et le palpent. Ils l’incisent, eux-mêmes pris dans l’imaginaire
fantasmatique de ces trois corps On lit les yeux écarquillés les descriptions
d’opérations (dont la plus célèbre est celle de la fistule qui fit tant rire Michelet ). On admire la bonne volonté du roi, patient
obéissant malgré un tempérament bilieux : « Jamais personne n’a eu moins de
pente à vomir ; même dans les temps de la fièvre, où presque tous les autres
vomissent, il ne le peut faire ; et dans sa grande maladie maligne, et dont par
conséquent le vomissement est un des plus ordinaires accidents, l’émétique le
sauva en le purgeant par en bas, sans le faire presque vomir. Il n’est que très
rarement dégoûté, même dans ses grandes maladies, et son appétit, dans toutes
les saisons et à toutes les heures du jour, est également grand, et souvent il
ne l’a pas moindre la nuit, quand ses affaires l’ont engagé à prendre ce temps
pour manger, et en général il est plutôt excessif que médiocre. Son ventre est
resserré, quelque fois très constipé, et jamais lâche que par le trop
d’aliments, par leur mélange, ou par leur qualité. Personne au monde n’a été
maître de soi autant que le roi ».
Il est
émouvant, dans le feuilletage sans cesse mêlé des trois corps du roi, de
découvrir la vulnérabilité du corps réel. Dans un monde dont la psychologie
nous est aussi étrangère que celle des peuples sauvages ou des Romains, la
description des misères du roi nous rapproche de lui, nous rend sympathique un
homme que la pompe et les images éloignaient de nous. Certes, l’accumulation des maux produit aussi un effet répulsif.
Mais cet effet est moins significatif que la sympathie grandissante que produit
cette lecture. Courage, patience et énergie vitale composent le portrait d’un
corps qui aura été le parfait serviteur de l’ambition politique, culturelle et
militaire d’un homme qui plaçait ailleurs qu’en lui sa conscience d’exister.
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Hervé
Guibert : du corps jouissant au corps souffrant
par Arnaud Genon (1955-1991)
Hervé Guibert, peu de temps
avant sa mort en 1991, des suites du Sida, évoquait ainsi son œuvre dans un entretien
avec Christophe Donner : « j’ai aussi l’impression que c’est l’histoire d’un
corps, effectivement d’un corps qui vieillit, d’un corps qui est malade, d’un
corps qui est abîmé, d’un corps ceci, d’un corps cela... » (La Règle du jeu, n° 7, 1992).
Le corps hante en effet le
travail de Guibert, il est un motif récurrent, observé de manière
quasi-chirurgicale, représenté tour à tour comme instrument de jouissance,
laboratoire de plaisir et, une fois « colonisé » par le virus, lieu de
souffrance et observatoire d’une déchéance prématurée. Mais, fait intéressant,
ces deux représentations du corps ne s’excluent pas l’une l’autre, elles
doivent s’envisager dans un glissement, un prolongement et arrivent parfois
même à se superposer.
Dès son premier ouvrage, La Mort propagande (1977), recueil de
textes courts, Guibert met en scène le corps, le sien ou celui des autres.
Ainsi, il note : « mon corps est un laboratoire que j’offre en exhibition,
l’unique acteur, l’unique instrument de mes délires organiques ». Le corps est
alors exploré minutieusement, de façon scatologique et pornographique tant
l’esthétique du gros plan y est importante. Dans la lignée de Sade et de
Bataille, Guibert offre un autoportrait fictif de son corps qui, parce que
supplicié, peut devenir objet de jouissance tout autant sexuelle que textuelle
: « faire filmer mon corps en décomposition, jour après jour, éclaté sous le
feu, étalé, cloué, exposé, mimant le supplice des cent morceaux dans un jeu de
masques chinois. Faire disséquer mon paf et mon cul devant l’optique des
caméras ». Nous le constatons ici, la violence des mots n’est en fait qu’une
mise en scène permettant d’aboutir à une jouissance du dire.
Dans « Histoire d’une sainte
», autre texte de ce même recueil,
c’est sur le corps de Thérèse, soeur au Carmel et
double fictif de sa grand-tante Louise, que Guibert se penche. Son corps,
mortifié et nié, devient l’objet de tout un ensemble de perversions érotiques :
« C’est un homme doux, déjà âgé. Et voilà que la petite rondelle terminale du
stéthoscope touche ton sein, elle est glacée, le parcourt, semble chercher
quelque chose à l’intérieur. Tu reçois ce contact comme une brûlure. Sans t’en
apercevoir, tu fermes les yeux ».
Ici encore, jouissance et souffrance se mêlent, se répondent et se nourrissent
mutuellement. Dès le début, Guibert offre donc une tribune au corps qui jamais
ne sera démentie. Cette jouissance/souffrance du corps sera le thème principal
d’un autre texte non-autobiographique : Les
Chiens (1982), plaquette pornographique au sado-masochisme
violent racontant les ébats amoureux d’un couple auquel vient se joindre le
narrateur.
A partir des Gangsters (1988), c’est le corps
souffrant qui fait son apparition dans le corpus guibertien.
Alors qu’il ne se sait pas encore atteint par le virus du sida, il relate, en
parallèle de l’escroquerie dont sont victimes ses grand-tantes Suzanne et
Louise, les souffrances liées au zona qui le ronge. Dès les premières pages,
Guibert n’épargne rien au lecteur, le corps s’exhibe et exhibe ses souffrances sans
détour : « J’ai un zona. Piqûres d’antibiotiques, calmants à base d’opium et de
belladone, rien n’apaise mes douleurs. Elles se relancent et s’entrecroisent,
comme un feuilleté d’un raffinement diabolique. La crampe la plus sourde menace
le tréfonds d’implosion imminente. La plus franche est une sensation
d’éventration tantôt verticale, tantôt horizontale ». Pour Guibert, écrire sur
soi, c’est aussi écrire sur le corps, l’exposer sans retenue. Cette exposition
impudique du moi sera radicalisée à travers la « trilogie du sida » composée de
A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990),
Le Protocole compassionnel (1991) et L ‘Homme au chapeau rouge (1992),
ouvrages dans lesquels Guibert évoque, sans ambages, la lente progression du
virus et ses répercussions sur son corps.
Alors qu’il n’a que
trente-six ans lorsqu’il publie Le
Protocole compassionnel, Guibert se compare à son père ou sa grand-tante
Suzanne âgée de quatre-vingt-quinze ans. Car cette rapide détérioration du
corps bouleverse le narrateur qui ne se reconnaît plus et traverse une crise
identitaire : « un corps de vieillard avait pris possession de mon corps
d’homme de trente-cinq ans... ». De plus, la transformation qui s’opère
physiquement entraîne aussi la mutation d’un corps de jouissance en corps de
souffrance de manière irrémédiable : « je ne baise plus, je n’ai plus aucune
idée sexuelle, je ne me branle plus, la dernière fois que j’ai réessayé un seul
poignet n’y suffisait plus... ». La chair, élément chaud, malléable, érotique
par excellence disparaît au profit d’un corps squelettique, froid et fragile.
Ainsi, lors d’une relation sexuelle avec son amant, lui aussi malade, le
narrateur de A l’ami qui ne m ‘a pas
sauvé la vie identifie le couple qu’il forme avec son partenaire à « deux
squelettes sodomites ». L’érotisme et la jouissance ne sont alors plus là que
pour stigmatiser l’impossibilité à les atteindre vraiment puisque l’instrument
du plaisir, le corps, est désormais le lieu de la souffrance.
Guibert ira encore plus loin
dans le film La pudeur ou l’impudeur, diffusé
en janvier 1992 sur TF1. Dans cette oeuvre
testamentaire, il inscrira le corps non plus seulement dans les mots, mais dans
l’image, allant au bout du dévoilement qu’il s’était fixé dès ses premiers
textes et tentant de se réapproprier sa propre identité meurtrie par
l’intermédiaire d’une objectivation du corps souffrant.
Force est de constater que
l’ensemble de l’oeuvre de Guibert est régie par une
volonté de représenter le corps, comme le révèlent les quelques textes
envisagés ici. C’est par ce motif, tout autant d’ailleurs que par l’écriture
autobiographique ou auto fictive, qu’elle acquiert toute sa cohérence.
Cependant, plus qu’une simple thématique, Guibert, à travers la représentation
du corps, se sera livré à une véritable expérience sur le dévoilement de soi en
tentant de repousser toujours plus loin les limites du dicible et du montrable.
En paraphrasant le peintre Réquichot, nous pouvons
dire qu’il n’écrivait pas pour faire une oeuvre, mais
pour savoir jusqu’où son oeuvre pouvait aller,
jusqu’où le corps sujet pouvait s’investir dans l’espace littéraire. Par son oeuvre et son expérience si singulières,
il favorisait l’apparition dans le champ littéraire français d’écrivains
mettant à leur tour le corps enjeu dans leurs travaux (Christine Angot, Guillaume Dustan...). Lui
qui voua l’ensemble de ses livres aux corps finit cependant par y renoncer, car
le sien même, redevenu celui d’un enfant, vint à lui faire défaut : « Je
renonce aux corps, les objets sont ma consolation, je suis un pharaon... » (Le Mausolée des amants).