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Juillet
2014
Source de cet
article :
Henri
Charcosset, abonné au Monde
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édition abonné
M le magazine du Monde | 07.02.2014 à 11h31 • Mis à jour le 09.02.2014 à 17h02
|Par Benoît HOPQUIN
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Ils n'ont qu'un message : l'Eglise est de retour. Souvent en
groupe, toujours en soutane, les prêtres de la communauté Saint-Martin
incarnent une vision décomplexée, pugnace et clairement identifiable du
catholicisme. À travers leurs paroisses, ils tentent de reprendre pied dans la
sphère laïque. Leur ostentation suscite des vocations mais aussi les craintes
des chrétiens progressistes.
Lorsqu'ils ont franchi le seuil du Champ du Coq, le restaurant
que vient d'ouvrir l'ancien international de rugby Sébastien Chabal dans la
zone industrielle de Meyzieu, les conversations se sont suspendues une fraction
de seconde. Puis elles ont repris, l'air de rien.
Il n'était plus que ces quelques regards furtifs, difficiles à
déchiffrer. Ils glissaient vers les trois hommes à chaque fois qu'ils
retournaient vers le buffet à volonté. Entre deux ravitaillements,
Grégoire-Marie Daniault, Edouard de Vregille, 37 ans tous les deux, et
Jean-Baptiste Balaÿ, 32 ans, ont raconté leur vie de prêtres. De prêtres en
soutane.
L'habit noir a fait le même effet quand les trois ecclésiastiques,
ordonnés en 2003, 2004 et 2008, ont
débarqué dans la paroisse de la ville, il y a un an."Notre style était
inattendu", reconnaît Jean-Baptiste Balaÿ. Il
détonnait dans cette grande banlieue lyonnaise plutôt populaire, marquée à
gauche, véritable terre de mission religieuse. Une poignée de bouffeurs de
curé, d'ennemis jurés de la calotte y ont été de leurs "croaa ! croaa !" au passage de ces corbeaux de retour.
"LES GENS NOUS ONT VUS COURIR COMME DE JEUNES CHIENS. ILS ONT
APPRÉCIÉ NOTRE ÉNERGIE, NOUS ONT RECONNUS COMME CE QUE NOUS SOUHAITONS ÊTRE,
DES PRÊTRES DE NOTRE TEMPS."
A en croire leurs cibles, les quolibets des vieux mécréants
n'ont pas duré, pas plus que les préventions des pratiquants. "L'appréhension s'est
dissipée, explique Edouard de Vregille. Les gens nous ont vus courir
comme de jeunes chiens. Ils ont apprécié notre énergie, nous ont reconnus comme
ce que nous souhaitons être, des prêtres de notre temps."
De fait, une heure auparavant, alors que s'achevait la messe
dominicale dans la petite église de Meyzieu, le contact avec les fidèles ne
semblait pas souffrir de barrières. Des parents venaient discuter, tandis que
leurs rejetons indisciplinés couraient entre les bancs.
Puis, en cette veille de Noël, des paroissiens ont ouvert une
bouteille de champagne au presbytère. On a trinqué dans le salon orné d'images
pieuses et de sculptures religieuses. Des bouteilles d'alcool étaient rangées
dans le buffet. Le prêtre a parlé de sa voiture qui lui causait du souci ; un
pompier a évoqué son prochain mariage. Conversation ordinaire d'un curé et de
ses ouailles.
UNE TENUE QUI RÉVEILLE DES SOUVENIRS DOULOUREUX
Mais les plus anciens s'étaient éclipsés discrètement, comme
pressés. C'est auprès d'eux que la soutane est le moins bien passée. Pour ces
catholiques à tête blanche, cette tenue réveillait des souvenirs douloureux des
années 1960, du temps du concile Vatican II. Elle rappelait les querelles
schismatiques entre intégristes et modernistes, entre rite de saint Pie X et
rénovation de Jean XXIII.
Certains pratiquants ont d'ailleurs déserté la paroisse, dans
cette commune très empreinte de christianisme social. D'autres sont arrivés de
plus loin, des traditionalistes qui se méprenaient sur le sens de la robe et
espéraient une messe en latin.
Grégoire-Marie Daniault balaie ce qu'il estime d'antiques lunes
: "Ce
sont des histoires de vieux briscards. Nous, ce que nous souhaitons seulement
montrer avec cette soutane, c'est que l'Eglise est là, physiquement présente." "On a changé de monde, de
génération, insiste Edouard de Vregille. Il faut en finir avec les
préjugés. Nous voulons qu'on puisse nous identifier clairement dans la société,
montrer que nous existons, susciter l'attraction." "Pour le plus
grand nombre, aujourd'hui, la religion est un terrain vierge où tout est à
construire", poursuit Grégoire-Marie Daniault. Il
faut s'adapter à cette donne.
UNE ÉVANGÉLISATION FRANCHE ET DÉMONSTRATIVE
Les prêtres évoquent le prosélytisme des autres croyants, des musulmans,
de plus en plus visibles dans la commune, des évangéliques, dont l'exubérance
attire. La soutane serait donc une manière de contre-offensive, un biais pour
"approcher les gens, les apprivoiser".
Un jour, sur le parking d'un supermarché où il faisait ses
courses, Grégoire-Marie Daniault a été interpellé par un homme qui avait repéré
son habit.""Vous êtes prêtre ?", m'a-t-il demandé. Il m'a
parlé de ses soucis, je l'ai écouté. J'ai fini par le confesser, là, sur le
parking. Jamais cet homme ne serait venu dans une église."
Les trois hommes multiplient les exemples de dialogues suscités
par la soutane, dans le train ou dans la rue. D'ailleurs, un homme qui les
observait depuis la table voisine se lève et s'approche. "Alors, les enfants du Bon
Dieu, il y a des âmes à sauver ?", lance-t-il sans agressivité. La discussion s'engage, se met à
rouler sur Jésus et sur le rugby. "Priez
pour nous", demande le supporteur avant de partir
voir un match.
UN SACERDOCE PARTAGÉ
Cet affichage de la religion jusque dans la livrée est la
philosophie de la communauté Saint-Martin, à laquelle appartiennent les trois
prêtres. Ce mouvement fidèle au pape préconise, pour faire grossier, une
affirmation des principes du christianisme dans le monde contemporain, une
évangélisation franche, voire démonstrative, en plein espace public et non plus
seulement dans l'intimité d'une chapelle. Il réhabilite donc le port de la
soutane mais prône aussi un sacerdoce partagé : les prêtres sont envoyés dans
une paroisse par groupe de trois au minimum, et n'y restent pas plus de cinq
ans.
La communauté a été fondée en 1976 par un abbé français,
Jean-François Guérin. Elle a longtemps végété, exilée en Italie, à Voltri, une
paroisse de Gênes, sous la protection du très conservateur cardinal italien
Giuseppe Siri. Revenue en France en 1993, Saint-Martin connaît aujourd'hui une
notable expansion, comme si l'époque lui était devenue plus favorable.
C'est là un indicateur supplémentaire de l'indéniable retour, qu'il
soit loué ou déploré, de l'Eglise dans la société temporelle et même dans la
sphère politique, au sens de la vie de la cité. Une évidence qu'ont incarnée
spectaculairement en 2013 les centaines de milliers de manifestants, souvent
catholiques revendiqués, qui ont défilé contre le mariage homosexuel.
MOBILISÉS CONTRE LA LOI TAUBIRA
La communauté Saint-Martin n'a pas été étrangère à la
mobilisation contre la loi Taubira. Dès l'été 2012, alors que la hiérarchie
hésitait encore à s'engager dans le débat, elle a relayé les doléances de ceux
qui voulaient que les catholiques prennent la parole et marquent leur
opposition. "Les
brebis ont bousculé les pasteurs", exprime bibliquement un de ses membres.
Nombre des prêtres rencontrés ont participé aux marches à Paris
et ailleurs, y compris le 2 février contre la loi sur la famille. Ils souhaitent désormais contribuer au réarmement moral ou
moraliste, s'immiscer dans d'autres sujets sociétaux, comme l'euthanasie ou la
bioéthique. Ils entendent incarner une nouvelle Eglise, désinhibée et pugnace.
"NOUS REMETTONS LA SOUTANE POUR LA MÊME RAISON QUE LES ANCIENS
L'AVAIENT ENLEVÉE, POUR MIEUX REDIRE LA FOI AVEC LES MOTS ET LES MOYENS
D'AUJOURD'HUI."
La soutane n'est qu'une affirmation symbolique de ce retour sur
le devant de la scène. A Châlons-en-Champagne, Jean-Baptiste Bert, 29 ans,
ordonné en 2012, la porte même quand il se rend à son entraînement de rugby, la
laisse au vestiaire le temps de quelques plaquages puis l'enfile à nouveau.
"C'est un excellent outil de
communication, une façon décomplexée d'être et d'être prêtre", soutient-il. "Le
temps est aux signes", explique à ses côtés Régis Maurel, 31
ans, ordonné en 2008. Nous
remettons la soutane pour la même raison que les anciens l'avaient enlevée,
pour mieux redire la foi avec les mots et les moyens d'aujourd'hui." "Certains jours, elle peut
être dure à porter", concède Jean-Baptiste Bert. Dans ces
moments-là, il s'habille en clergyman classique.
La communauté Saint-Martin s'est installée dans cette paroisse
de centre-ville il y a cinq ans. Les deux prêtres travaillent plus
particulièrement avec les jeunes. Pour cette nouvelle génération, la soutane
n'évoque rien, si ce n'est le costume de Néo, le héros de Matrix, film américain qu'on dit d'ailleurs
"culte". On les compare souvent à ce personnage
mystico-technologique, dans la rue ou à Ozanam, un lycée catholique de la ville
où ils se rendent régulièrement. Dans cet établissement, il y a eu quatre
avortements, et un élève va passer en justice.
"NOUS ASSISTONS À UNE SPIRITUALISATION MALADROITE DE LA
SOCIÉTÉ. MAIS ELLE EST LE SIGNE D'UNE RECHERCHE."
Jean-Baptiste Bert estime qu'il a des réponses à apporter à
cela. "Dans
les années 1980 et 1990, il y avait encore le complexe d'avoir été trop présent,dit-il. Maintenant,
c'est fini. Je suis sidéré par la religiosité de remplacement, l'attrait pour
le paranormal, par exemple. Nous assistons à une spiritualisation maladroite de
la société. Mais elle est le signe d'une recherche." Sa mission serait donc d'étancher cette soif de croyance.
UNE ATMOSPHÈRE MYSTIQUE
Le rendez-vous se déroule dans le vieux presbytère, derrière
Notre-Dame-en-Vaux, une noble collégiale du XIIe siècle. Ils sont quatre à partager cet hébergement, dont le père
Jacques Vautherin, 51 ans, un ancien élève de Polytechnique entré dans les
ordres. Dans la bibliothèque du bureau trône l'intégrale de saint Thomas
d'Aquin. Et puis il y a ces deux jeunes prêtres, belles figures dans ce costume
que d'aucuns jugent suranné.
Tout cela crée une atmosphère particulière, à la fois sereine et
habitée, quelque chose de mystique, à la Bernanos, l'ordinateur en plus. Ces
prêtres, qui manient parfaitement les nouvelles technologies, ont souvent une
page Facebook ou un blog. Jean-Baptiste Bert joue d'ailleurs avec un disque dur
externe, tandis que Régis Maurel évoque "cette société
"post-tout", qui a perdu le sens des choses".
A Candé-sur-Beuvron, près de Blois, le siège de la communauté et
son séminaire occupent un ancien château où la pierre résonne et le parquet
craque. Paul Préaux, 49 ans, est le "modérateur général",
c'est-à-dire le représentant de la communauté, son garant auprès de la
hiérarchie catholique. Tandis qu'il parle, cet homme au fin sourire et au verbe
précis ne cesse d'arpenter son bureau de long en large, les mains dans le dos.
Il se poste parfois devant la fenêtre, regarde par la croisée la campagne
encore noyée de brume.
Ce faisant, l'abbé disserte sur les valeurs, "la quête de sens" et la "course
au bien-être matériel", sur "la crise de la société en
général et celle de l'Eglise en particulier" qui ont eu tendance, l'une et l'autre, "à tout jeter par la
fenêtre". "La laïcité telle qu'on la
vit actuellement est stérile, dit-il.Pourquoi
la dimension spirituelle ne pourrait-elle s'exprimer dans la sphère publique
?" Il s'agace de la "société du
prêt-à-penser", considère dépassées les valeurs de Mai
68 : "Il
est interdit d'interdire, s'éclater dans tous les sens, ça ne fonctionne plus.
Il faut revenir à un certain cadre."
Le prêtre doit, selon lui, "réassumer le rôle de guide
spirituel, être disponible, faire partie de la vie des gens". "La soutane montre notre
fierté d'appartenance", ajoute-t-il. Les membres de la
communauté se font appeler "Don" plutôt que "père", un
souvenir de l'exil italien, se saluent front contre front, selon une tradition
bénédictine qui remonte au Ve siècle. Ils ne cachent plus leur chapelet et s'initient au chant
grégorien. "Pourquoi
se priver de ce qui est beau ?"
C'est là une mise en scène assumée, un rituel démonstratif qui
colle au temps. Les responsables de la communauté savent également utiliser les
médias pour la bonne cause, celle de Dieu évidemment. Récemment, ils ont
accueilli une équipe de "Téléfoot" qui a suivi avec eux le match
France-Ukraine. Se montrer pour exister, selon le credo de la société du
spectacle."La religion catholique est parfois très cérébrale, constate Paul Préaux. Il faut
respecter la piété populaire, développer un christianisme accessible à
tous." D'où cette ostentation assumée, calculée
même, dans le but de convertir de nouvelles âmes autant que d'entretenir la foi
des convaincus.
Les séminaristes de Candé acceptent l'extrême rigueur de
l'éducation, qui confine à une ascèse. Le lever se fait à 6h30. Les journées
sont chargées, ponctuées d'offices, de l'aurore au crépuscule, ou plutôt des
laudes aux complies. Les repas sont pris, expédiés plutôt, en commun et en
silence, tandis qu'un élève lit un passage de l'Evangile, ce jour-là selon
saint Matthieu. Au petit déjeuner, ils écoutent les exhortations du nouveau
pape François. Le cérémonial s'achève par une prière en latin et quelques
consignes qui n'appellent pas de discussion.
DES VOCATIONS QUI SE MULTIPLIENT
Malgré sa rigidité, ou en raison de celle-ci, ce corpus
intellectuel et moral séduit de plus en plus de jeunes. Les vocations se
multiplient. Trente et un nouveaux inscrits cette année (contre quatre il y a
dix ans), et déjà les candidatures affluent pour la rentrée prochaine.
Louis-Hervé Guiny, 40 ans, responsable des études depuis neuf ans, évoque ses
chiffres ronflants, cette croissance exponentielle, avec une modestie
embarrassée, tant ils sont à rebours de la crise de la prêtrise.
Le séminaire compte à lui seul 85 élèves quand il ne s'en
recense que 650 dans toute la France. "Ils
viennent chercher du sens, quelque chose qui dure", explique Don Louis-Hervé, ordonné en 2000, après s'être un temps
destiné à la carrière militaire. Ses parents, engagés dans le christianisme
social, avaient cette façon de pratiquer leur foi en immersion "comme le levain dans la
pâte".
Le fils ne partage pas cette conception, voit dans les
prêtres-ouvriers les exemples d'"une génération de chrétiens
qui ont perdu leur identité". "Je souffre que notre Eglise
soit lente à s'adapter au monde. Or le monde attend que l'Eglise prenne plus de
place. Elle apporte de l'humain, du lien social vrai et cohérent, de la
naissance à la mort. Il faut lutter contre la vision de l'homme économique,
qu'il soit libéral ou communiste. La tristesse ordinaire, le malaise général
montrent la fin de cette vision. L'Eglise doit incarner le primat de l'homme
esprit sur cet homme économique", explique cet inconditionnel de Georges Bernanos.
Adjoint du directeur des études, Jean-Rémi Lanavère, 32 ans, a
été de ceux qui ont ainsi cherché et trouvé. Collège Saint-Jean de Passy, lycée
Carnot, prépa Henri-IV, Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie à 23
ans : "J'étais
sur les rails, parti pour enseigner", résume-t-il. Mais plus il avançait dans cette voie de la raison,
plus il sentait l'appel mystique."C'était un hiatus constant,
un affrontement. Finalement, je suis entré au séminaire avec une liste de
raisons. En réalité, il n'y en avait qu'une seule : "Parce que c'était
Lui, parce que c'était moi"."
Outre cette vérité de Montaigne, Don Jean-Rémi dit avoir trouvé
à Candé"une monnaie de bon aloi" pour sa vie. Depuis, il ne cesse de polir cette pièce : il
prépare à l'Ecole des hautes études en sciences sociales une thèse de doctorat
sur "la
dimension politique et la loi naturelle", inspirée de saint Thomas d'Aquin.
LA PROMESSE D'UN SALAIRE DE 800 EUROS PAR MOIS
Tandis que s'élèvent des voix venues de la classe de chant
grégorien, une quinzaine de séminaristes âgés de 21 à 33 ans défilent comme à
confesse. Plutôt issus de familles aisées et pratiquantes, ils débitent leur
cursus, pour la plupart impressionnant. Guillaume Sebaux était fiscaliste dans
un cabinet d'avocats d'affaires. Augustin Azaïs a fait Sciences Po et Centrale
avant de travailler dans le cabinet d'audit Deloitte. Nicolas Benedetto
travaillait comme ingénieur dans un bureau d'études géotechniques. Christian
Cantale oeuvrait dans la finance à Genève "avec des perspectives intéressantes". François Reynes est docteur en
sciences politiques, François de Villeneuve agrégé de chimie.
Ils ont tous abandonné leur plan de carrière et l'assurance
d'une bonne situation pour la promesse d'un salaire de 800 euros par mois.
Quand on leur demande dans quelles circonstances leur est née la vocation, ils
affichent un sourire charitable pour le béotien. Comment parler de
"l'appel", de ce moment où le doute devient certitude ?
Par bonté d'âme, ils tentent une explication. "C'est la meilleure réponse
que j'ai trouvée à la question : " Qu'est-ce que je veux faire de ma vie
?"",résume Benoît Thocquenne. "Un
jour, j'ai vu des prêtres heureux et je me suis demandé pourquoi", témoigne Xavier Camus.
LA SOUTANE COMME ÉTENDARD
Les séminaristes sont en revanche plus prolixes quant au choix
de Candé plutôt qu'un autre séminaire. Un des arguments tient à la vie de
groupe en paroisse. Beaucoup redoutaient la solitude des presbytères. Le
partage des bons et des mauvais moments entre prêtres permet de supporter plus
facilement le célibat, "cette
forme de renoncement pour un désir plus grand, celui de mettre Dieu au centre
de sa vie", comme le définit l'un d'eux, Jérôme
Bertrand.
Ils acceptent l'idée de la soutane comme étendard, savent qu'il
faudra apprendre à la porter "avec le sourire". Au-delà, ils adhèrent
à l'idée d'une Eglise plus vindicative. "Nous reprenons le
micro", résume Stanislas Martin, qui a arrêté sa
médecine en quatrième année pour venir ici.
Les élèves reçoivent peu de visites et sortent rarement. Ils ne
sont d'ailleurs guère sujets à la tentation dans ce bourg de 1 400 habitants.
La tenue vestimentaire des impétrants est stricte, le téléphone portable
prohibé, l'accès à Internet, à la télévision et à la presse réglementé, la
bibliothèque aux 40 000 volumes est tournée presque exclusivement vers la
spiritualité. Seuls la partie de football sur un terrain
propice aux entorses, une promenade dans le parc de 12 hectares, une séance
sporadique de cinéma ou un passage par la salle de musculation où tournoie un
sacrilège sac de boxe apportent une respiration.
Malgré ces contraintes monacales, force est de constater que le
séminaire respire une formidable joie de vivre. Il y règne une ambiance semée
de silences et d'éclats de rire, une atmosphère à la fois désuète et juvénile.
On y enseigne le latin et on y cite Les
Tontons flingueurs ou la série humoristiques "Kaamelott". On s'y sent dans et hors du monde. Le visiteur ne sait trop s'il
est conduit vers le passé ou le futur... "Notre objectif n'est pas de
restaurer les temps anciens mais d'en tirer ce qui est immuable pour répondre
aux attentes d'aujourd'hui", propose Louis-Hervé Guiny en guise de
clé.
Pour cette capacité à sentir les interrogations de l'époque et à
lui offrir des réponses qui se veulent éternelles, la communauté Saint-Martin
suscite donc un intérêt qui dépasse les frontières. Phil Dieckhoff, 26 ans, un
Allemand d'Aix-la-Chapelle, ou Xandro Pachta, 27 ans, un Autrichien de Vienne,
tous deux parfaitement francophones, ont ainsi choisi le Loir-et-Cher. "J'ai été attiré par le
charisme qui se dégageait de la communauté",explique Xandro Pachta. "En Allemagne, l'idée que
l'Eglise participe à la vie publique est encore admise", assure Phil Dieckhoff. Les deux impétrants espèrent faire des
émules dans leur pays. La communauté s'est aussi installée à Cuba.
DES PROJETS D'AGRANDISSEMENT
Le séminaire se sent désormais à l'étroit dans ses murs de
Candé. Il rêve de prendre ses aises et doit déménager, en 2014, dans une abbaye
à Evron, près de Laval. Un lourd investissement qui se chiffre en millions
d'euros et nécessite un appel aux dons. Ce soir-là, dans la paroisse des
Blancs-Manteaux, au cœur de Paris, Paul Préaux, le modérateur général, et
Pascal-André Dumont, l'économe général, présentent le projet à quelques
paroissiens bien installés dans la vie.
On est assez loin des nourritures célestes : il est très
prosaïquement question de fonds commun de placement, d'abandon d'usufruit, de
contrats d'assurance-vie... Les conférenciers manient avec dextérité les outils
financiers mais expliquent qu'ils refuseront tout argent des laboratoires
pharmaceutiques qui "travaillent
sur des cellules souches", une voie de recherche contraire à leurs principes. Dans tout
le pays, quelques milliers de pratiquants apportent ainsi un soutien sonnant et
trébuchant à l'institution.
L'AILE GAUCHE DE L'EGLISE S'INQUIÈTE
L'épiscopat français, lui, s'est longtemps montré méfiant envers
cette communauté, jugée par trop militante et rétrograde. Elle n'avait le
soutien que de l'aile conservatrice des évêques. Mais de plus en plus de
diocèses en manque de prêtres demandent aujourd'hui la venue de ces commandos
en soutane. "Trente-trois
évêques me proposent des paroisses", assure Paul Préaux. Un évêque issu du mouvement vient même
d'être nommé à Bayonne, non sans quelques remous sur place. L'aile gauche de
l'Eglise s'inquiète de ce qu'elle estime être une contamination de l'intérieur
par l'esprit réactionnaire.
Benoît XVI avait conforté la communauté dans son assurance
doctrinale, son intransigeance diront ses détracteurs.
Le pape François, lui, exprime sa volonté de porter la bonne parole dans
l'espace public, d'utiliser l'image. La communauté Saint-Martin se sent ainsi
dans l'air du temps.
§ Benoît Hopquin
Journaliste au Monde