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Juillet 2014
ENQUETE SUR LES
« BOOMERANG KIDS », CES ADULTES CONTRAINTS DE RETOURNER CHEZ LEURS
PARENTS
Catherine
ROLLOT
Le Monde vendredi 31 janvier 2014
La crise conduit de plus en plus de « quadras » ou
« quinquas » a reprendre le chemin du cocon
familial .Des cohabitations pas toujours faciles à vivre.
Pour ses collègues de bureau ,
elle vit avec un compagnon dans un pavillon de banlieue parisienne . En réalité , Catherine occupe une chambre de quelques mètres
carrés dans l’appartement de son père de 72 ans . A 47 ans ,
cette infirmière en entreprise a retrouvé depuis six mois le cocon familial
après une séparation.
« Personne n’est au courant , car j’ai honte d’en être là à mon âge » ,
confie-t-elle .
On connaissait les « Tanguy » ,
ces adolescents devenus adultes qui peinent à quitter papa et maman , on
découvre maintenant ceux qui , à la quarantaine et plus, retournent chez leurs
parents ,après avoir vécu des coups durs
.
La flambée des prix de l’immobilier,
la fréquence des ruptures professionnelles ou personnelles, l’envolée des
boulots précaires, ont fait se développer dans les villes cette cohabitation
tardive et souvent subie qui, jusque-là , se
cantonnait au milieu rural .
Loin de l’image du grand fils
ou de la fille restés auprès des parents pour aider à la ferme
, ces « boomerang kids » ( enfants boomerang) , comme les appellent les
Anglo-Saxons , avec rides et parfois cheveux blancs , sont de plus en plus
nombreux à reprendre le chemin de la maison familiale ,après des années
d’indépendance.
Souvent vécues honteusement
dans le huis clos familial,-toutes les personnes qui ont accepté de témoigner
l’ont fait uniquement sous couvert d’anonymat. Ces situations échappent
de fait aux statistiques . Seules quelques données
encore parcellaires permettent de cerner un peu mieux ce phénomène.
Ainsi , selon les premiers résultats issus de travaux en
cours , réalisés à partir de l’enquête Famille et logements 2011 de l’Insee ,
l’Institut national d’études démographiques
(INED) estime que 4,4% des garçons de 40 ans cohabiteraient avec leurs
parents , et 3,2 % à 50 ans . Côté filles, elles seraient 2,4 % à partager le
nid familial à 40 ans et 1,9 % à 50 ans .
« Pour la première fois
, ces chiffres nous donnent des éléments sur qui cohabite avec qui ,
explique Catherine Bonvalet , directrice de recherche
à l’INED . Même si on ne peut pas isoler le nombre de personnes qui sont
dans des situations d’allers retours , on peut penser qu’elles comptent
pour une bonne part dans ces pourcentages. »
La fondation Abbé Pierre , dont le 19e rapport sur le mal-logement
est présenté vendredi 31 janvier , évalue quant à elle à 280 000 le nombre de
personnes de plus de 25 ans ni étudiants ni jeunes diplômés, contraints de
revenir vivre chez leurs parents ou grands-parents faute de pouvoir accéder à
l’autonomie résidentielle .
Parmi eux ,
on compte sans doute un certain nombre de quadragénaires et de personnes âgées
.
Pour le sociologue Serge Guérin , auteur de plusieurs ouvrages sur la solidarité et
les séniors , l’amplification de ce phénomène est une réalité .
« La crise , mais aussi la réduction des différences culturelles
entre les générations font qu’en cas de problème , les gens se tournent plus
facilement qu’autrefois vers leurs proches, explique M . Guérin ; par ailleurs , l’âge où l’on a besoin d’un soutien matériel
et/ou psychologique s’est décalé . Désormais , toute une tranche d’âge , à partir de laquelle
on était autrefois ‘sorti d’affaire’’ , se trouve à son tour fragilisée. »
Philippe , aujourd’hui 60 ans , est revenu au bercail familial
il y a cinq ans . Cet ancien chef d’entreprise a connu une dégringolade suite à
un enchaînement de soucis de santé , une faillite et
une séparation . Le retour chez les parents s’est fait naturellement. Ruiné , sans cette
solution , l’ancien cadre dirigeant se serait retrouvé « à la
rue ». Aujourd’hui , alors qu’il a trouvé un
emploi aidé , grâce à l’association Solidarités
nouvelles face au chômage , Philippe mesure la chance d’avoir en
recours « ces parents-là » qui grâce à leur aisance financière mais
surtout à leur amour , l’ont « cocooné quand ( il) étai (t) au fond du
trou » . En retour
, par manque de moyens mais aussi « par reconnaissance » , il
envisage maintenant difficile de quitter son père et sa mère octogénaires ,
« qui sont habitués et se sentent rassurés par sa présence ».
Au-delà de l’aspect économique , le retour chez les parents plus âgés est bien
souvent un sas de décompression . « La famille est normalement l’institution
qui va le moins juger, qui va rassurer et accueillir spontanément sans poser de
questions » , analyse Serge Guérin.
Nathalie , 64 ans assistante sociale à la retraite en Bretagne , a ouvert spontanément sa porte
, au printemps dernier , à l’un de ses fils , âgé de 40 ans , qui venait de se
faire licencier . Endetté , séparé de sa femme et avec
trois enfants à charge , le retour du fils prodigue était « une
évidence » , raconte aujourd’hui Nathalie , qui a déjà connu une
situation similaire , par deux fois, avec un autre de ses quatre enfants
.
« Mais l’irruption d’un enfant adulte
dans l’intimité du couple que je forme avec mon nouveau compagnon a été
déstabilisante » ,reconnaît
la retraitée active , qui était prête « a payer une petite location
pour son fils » ,si la situation s’était éternisée .
« C’est plus
difficile que nous le pensions » , convient
Jean-Bernard , qui accueille depuis novembre 2013 , dans son pavillon prés de
Laval , son fils de 35 ans , au chômage , qui a repris la chambre qu’il
occupait lorsqu’il était enfant . Ancien technicien dans la métallurgie
, ce retraité de 64 ans et sa femme aide-soignante sont conscients de
mettre , sans le vouloir , un peu la pression sur leur progéniture . « Nous
sommes à la fois rassurés de le voir avec nous à la maison car il ne pourrait
pas vivre dignement avec ses indemnités , mais en même temps nous
avons peur qu’il perde l’habitude de se débrouiller seul » , avoue Jean-Bernard .
Au-delà des dépenses
supplémentaires engendrées par la présence d’une personne en plus
, la perte d’autonomie acquise depuis le départ des enfants est souvent
mal vécue par les parents retraités encore jeunes qui se sentent suffisamment
en forme et veulent profiter d’un quotidien jusque-là débarrassé des
contingences familiales.
Côté enfants
, la situation est aussi
douloureuse . Tout le travail de prise de distance relationnelle
, qui s’était fait naturellement au moment de l’envol du nid parental ,
tend alors à s’effacer .
A 53 ans , Agnès ,
professeur de chant à mi-temps , en parle avec lucidité.
« Depuis que je suis
revenue chez ma mère , je supporte de plus en plus mal
ses questions sur mon emploi du temps , son insistance à ce que je me couvre ,
reprenne d’un plat …Ma mère de 82 ans a du mal à comprendre que je ne suis plus
une petite fille . En même temps, je lui suis reconnaissante de m’héberger » .
Catherine , infirmière de 47 ans , se sent elle aussi , dans une
situation régressive . « La situation normale, c’est d’habiter chez soi
et de rendre visite de temps en temps à ses parents ,pas
de se retrouver le soir en tête à tête avec son père de 72 ans. »
Catherine
Rollot