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Avril 2015
Auparavant,
on pourra voir : Ricard Matthieu , La bienveillance
, clé de
la réussite ( ouvrage, 2013)
« EN TEMOIGNANT DE LA BIENVEILLANCE POUR
LES ANIMAUX, ON AIME PAS MOINS LES
HOMMES. »
MATTHIEU RICARD, MOINE BOUDDHISTE
Le Monde des Religions, N°69, Janvier-Février 2015
Dans son
nouvel essai sur la condition animale, Matthieu Ricard milite pour une
bienveillance qui ne serait pas « une commodité limitée » à
certains êtres sensibles. Rencontre avec un homme de convictions. Propos
recueillis par Virginie Larousse
O
|
n ne présente plus
Matthieu Ricard, auteur d’une œuvre aussi prolifique que brillante, touchant à
des domaines aussi variés que la science, la vie spirituelle, et même la
photographie. Après la vaste somme qu’il a produite, l’an dernier, sur l’altruisme,
il se fait de nouveau le pèlerin infatigable d’une compassion étendue à
l’ensemble des êtres sensibles, dans son Plaidoyer pour les animaux. Une
cause loin d’être accessoire, puisqu’elle est le reflet de cette ouverture du
cœur censée témoigner de notre humanité.
Jusqu’à
maintenant, vos livres concernaient essentiellement les êtres humains. Pourquoi
vous consacrer aujourd’hui à la cause animale ?
● Mon
précédent ouvrage, Plaidoyer pour l’altruisme (NiL,
2013), s’intéressait à étendre à tous l’altruisme : pas seulement à nos
proches et à ceux qui nous traitent bien, mais à l’ensemble des êtres humains
et sensibles. L’une des racines de l’altruisme est d’accorder de la valeur à
l’autre. Si on accorde de la valeur à autrui, on ne peut être indifférent à son
sort, ni l’instrumentaliser dans le but d’en tirer profit. Bien que
principalement centré sur l’être humain, ce livre contenait des chapitres sur
les animaux : il est évident qu’on ne peut créer une barrière artificielle
en considérant que la souffrance de certains êtres sensibles doit être prise en
compte, et que pour d’autres non. Le Plaidoyer pour l’altruisme m’a
amené à rassembler de nombreuses données sur la condition animale, à laquelle
j’ai préféré consacrer un ouvrage à part entière. Néanmoins je n’ai pas changé
d’orientation : il s’agit, encore une fois, de montrer que la
bienveillance n’est pas une commodité limitée et que sa mise en œuvre ne doit
pas être entachée de partialité.
Ne craignez-vous
pas que l’on vous reproche de défendre une cause anecdotique, au regard des
tragédies de notre temps ?
● On me le
reproche souvent, en effet. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je précise
que, bien sûr, il ne s’agit pas d’aimer les animaux au détriment de l’homme. Et
c’est un reproche qui, lorsque l’on en décortique la logique, ne tient pas la
route. Aux personnes qui l’expriment, je réponds que, lorsqu’elles prennent des
vacances à la plage, on ne leur dit pas : « Vous êtes abominables,
vous pourriez consacrer ce temps-là à vous occuper des réfugiés syriens ».
Ce type d’indignation mal placée ne prend pas en compte le fait que la
bienveillance ne devrait pas avoir de barrières. Cependant, s’il est question
de ressources financières, par définition limitées, la question ne se pose
pas : évidemment, il faut nourrir les enfants prioritairement aux chiens.
Mais se montrer bienveillant avec son enfant empêche-t-il d’en faire de même
vis-à-vis d’un animal ? Il n’est pas indécent de se préoccuper des
animaux, malgré la souffrance humaine. Je pense qu’avec une bienveillance
limitée, on aime moins bien ceux que l’on aime. En
témoignant une bienveillance plus grande, plus vaste, plus profonde, qui inclut
aussi les animaux, on aime pas moins les hommes, bien au contraire. Finalement,
pour mieux mettre en lumière l’inanité de ce « sophisme de
l’indécence », je ne vois pas en quoi le massacre, chaque année, de
60 milliards d’animaux terrestres et de 1 000 milliards d’animaux marins,
améliore d’une quelconque façon le sort des peuples persécutés.
L’intérêt
que les êtres humains portent au monde animal est de plus en plus vif, mais la
violence envers les animaux n’a jamais été aussi forte. Comment expliquez ce
paradoxe ?
● Vous savez, la
dissociation mentale ne date pas d’hier ! Aristode,
l’un des plus grands penseurs de l’humanité, était favorable à l’esclavage… Des
gens qui ont été des bourreaux abominables vis-à-vis d’autres êtres humains,
notamment dans les camps de concentration, ont ainsi pu être par ailleurs de
bons pères de famille. Nous sommes très forts pour établir des
compartimentations morales. Je crois que, dans le cas présent, ce type de
dissociation est à l’œuvre. Parce qu’ils veulent continuer leurs activités ou
conserver leurs habitudes en préservant l’image qu’ils ont d’eux-mêmes – celle
de personnes n’ayant rien d’abominable —, certains de nos contemporains
font une pirouette intérieure, en avançant notamment l’insensibilité des
animaux ou leur infériorité ontologique. Par conséquent, l’acte de tuer ne pose
plus de problème moral et devient un métier comme un autre. On dévalorise
l’autre, l’animal devient une machine à faire des saucisses, une chose.
Il y a aussi une sorte de
désindividualisation. Ce n’est plus le chien que j’aime ou bien une personne
humaine qui a une histoire, des joies, des souffrances, une famille, mais un
matricule, donc une foule anonyme. Et il est plus facile de gérer l’anonymat
que l’individuel. Ces mécanismes permettant d’accomplir des actes tout en se
sentant à peu près bien mènent à une violence sans sentiment, à une carence
d’empathie. Le remède à cela, c’est de se mettre à la place de l’autre. De
comprendre qu’il s’agit ici d’êtres sensibles, et qu’aucun ne souhaite à
priori souffrir. S’il y avait un seul droit, fondamental, dans tout l’arsenal
des droits imaginables, ce devrait être celui de ne pas souffrir vainement de
la main d’autrui, de façon purement arbitraire. Qu’il s’agisse d’un être humain
ou d’un animal.
« S’il
y avait un seul droit, fondamental, ce devrait être celui de ne pas souffrir
vainement de la main d’autrui, de façon purement arbitraire. |
N’avez-vous
pas tendance à humaniser à l’excès la conscience animale ?
● Il s’agit là d’un faux
débat. Je dis d’emblée qu’il ne faut pas animaliser l’être humain et humaniser
l’animal. Chaque espèce possède des capacités qui lui sont propres et lui
permettent de survivre au mieux dans son environnement. L’homme possède des
qualités extraordinaires. Mais ces dernières ne lui donnent pas le droit de
faire souffrir les autres. Notre intelligence et nos qualités de cœur devraient
précisément nous amener à prendre soin de ceux qui sont moins bien lotis que
nous sur le plan de ce que nous appelons « l’intelligence ». Si
l’homme a une particularité, c’est bien celle de l’ouverture vers l’autre.
Dire que l’homme est un
animal comme un autre est inexact, puisqu’aucun animal n’est comme un
autre ! C’est un débat tellement anthropocentré,
car il existe des capacités pour lesquelles l’être humain, loin d’être
supérieur aux animaux, est complètement à la traîne : s’orienter en
fonction des étoiles, comme le font certains oiseaux migrateurs sur
10 000 km sans toucher terre, ou comme les chauve-souris
qui sortent, à plusieurs milliers, par l’ouverture étroite d’une grotte dans
l’obscurité complète sans se rentrer dedans… Cela nous aiderait bien dans les
embouteillages ! Supériorité pour quoi, donc ? Si c’est pour nommer
un expert-comptable, il est évident que l’intelligence prime. S’il s’agit de
recevoir un coup de couteau dans le ventre, je ne vois pas de différence entre
l’homme et la chèvre, du point de vue de la douleur immédiate : les
terminaisons nerveuses et les neurotransmetteurs de la douleur sont les mêmes.
Toute espèce a les qualités pour survivre au mieux, naturellement sélectionnées
par l’évolution. Un oiseau migrateur n’a pas besoin de composer un symphonie pour survivre, mais de migrer en s’orientant
grâce aux étoiles. Chaque chose est à sa place et il faut respecter la valeur
intrinsèque de l’oiseau migrateur sans dénigrer celle de l’être humain. Selon
la loi, les espèces sauvages n’appartiennent à personne, mais on oublie
qu’elles s’appartiennent avant tout à elles-mêmes.
Pourquoi
inviter les humains à pratiquer le végétarisme, alors que les animaux eux-mêmes
ne le sont pas, et qu’il apparaît donc naturel de manger de la viande ?
● C’est un faux débat. Tout d’abord, il ne s’agit pas
d’une vision dogmatique : je ne dis pas à tout le monde de devenir
végétarien, mais il faut aussi voir les gains et les pertes.Et
regarder, tout d’abord, notre histoire. Cela fait à peine 12 000 ans que
l’agriculture et l’élevage ont cours. C’est-à-dire que pendant 99 % de notre
histoire, nous étions chasseurs-cueilleurs. Hormis les néandertaliens, l’homme
a été en grande majorité quasi végétarien,
ne mangeant de la viande qu’occasionnellement. Aujourd’hui, qui gagne à cette
consommation effrénée de viande ? Certainement pas notre santé : les
études ont bien montré que les gens qui mangent quotidiennement de la viande
ont un risque de mortalité accrue – environ 15 % de plus concernant les
maladies cardiaques et les cancers, par exemple. Les animaux consomment ce dont
ils ont besoin et, contrairement à nous,
ne tombent pas dans l’excès.
Vous
écrivez qu’être bienveillant envers les animaux est dans leur intérêt, mais
aussi dans celui des hommes, pourquoi ?
● Un milliard et demi de
personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans le monde. Diminuer l’élevage
industriel, qui utilise chaque année 750 millions de tonnes de céréales, serait
un moyen d’y remédier. Car ces céréales, souvent produites dans des pays
pauvres, sont expédiées vers les pays riches qui consomment de la viande en
grande quantité. Alors que l’on pourrait nourrir un milliard et demi de
personnes avec ces 750 millions tonnes de grains, est-il indécent de vouloir
réduire l’élevage industriel ? Cela permettrait en outre de réduire le
réchauffement climatique, puisque l’élevage industriel destiné à la production
de viande contribue à 15 % des émissions de gaz à effet de serre.
Respecter les animaux, c’est aussi de placer dans le
courant d’une évolution naturelle des cultures et des idées. Cette évolution
est nettement perceptible : fut un temps, on torturait les gens sur la
place publique sans aucun état d’âme – on allait assister à ce
« spectacle » comme on irait voir un match de foot. C’était il n’y a
pas si longtemps :la dernière sorcière a été
brûlée vive en France en 1826. Il me semble que l’étape suivante doit consister
à élargir les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant aux autres êtres
sensibles.
N’assiste-t-on
cependant pas à un retour en arrière sur le plan de l’évolution, si l’on songe
à la barbarie de l’État islamique, entre autres ?
● Cela va peut-être vous
surprendre, mais en regardant l’histoire dans un contexte plus large, il
s’avère sans la moindre ambiguïté que la violence n’a cessé de diminuer depuis
des siècles, et qu’elle continue à le faire. Ceux qui en doutent pourront lire
avec profit l’ouvrage extrêmement documenté du psychologue cognitiviste Steven Pinker, The Better Angels of Our Nature : The Decline
of Violence in History and Its
Causes. J’ai consacré un chapitre à ce travail dans mon livre sur
l’altruisme. La violence domestique reste l’une des formes de violence les plus
importantes au monde. Mais en 20 ans, la violence envers les enfants a diminué
de moitié aux États-Unis. Bien sûr, il se produit toujours des choses
terrifiantes, comme en Syrie ; mais à l’échelle de la planète, un habitant
a 50 fois moins de risques de périr de périr de mort violente dans une guerre
aujourd’hui qu’en 1950.
Vous
excellez dans de nombreux domaines. Reste-t-il quelque chose du domaine de
l’insatisfaction en vous ?
● Je ne parlerais pas
d’insatisfaction stricto sensu, mais il se trouve que je vais bientôt
avoir 69 ans, et que j’ai conscience de ne plus avoir un temps infini devant moi.Sans négliger mon service pour les autres – mettre la
compassion en action étant aussi le but de ma démarche –, j’aimerais avoir plus
de temps à passer dans mon ermitage. Je préfère la vie simple, dans l’Himalaya,
où je n’ai pas de chauffage, dans un petit ermitage de 2,90 sur 3 m. Je peux donner l’impression de gagner
beaucoup d’argent, mais je verse la totalité de mes droits sur mes livres et
autres revenus à mon association, Karuna Shechen(1). Je n’ai pas d’ambition de finir mon
existence dans le luxe, l’abondance et la distraction, mais bien de poursuivre
ma vie spirituelle. ▌
(1) Karuna-Shechen Cette association met en oeuvre
des projets humanitaires dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du
développement durable pour les populations défavorisées en Inde, au Népal et
au Tibet. www.karunaschen.org |
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SUR NOTRE WEB Visionnez la vidéo de Matthieu Ricard au sujet de son livre, Plaidoyer
pour l’altruisme, en partenariat avec Philosophies TV. www.lemondedesreligions.fr |
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