Sections du site en Octobre 2009 :
Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour
publier -- Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap
-- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie
-- Histoires de vie --
Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous
chercheurs -- Liens –Le webmestre.
RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC AUTEURS, TITRES DE TOUS ARTICLES : CLIC SYNTHESE GENERALE: CLIC
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Novembre2012
"LES MALADES SONT CULPABILISES DE VOULOIR HATER
LEUR PROPRE MORT"
Philippe
BATAILLE, Propos recueillis par Cécile PRIEUR
LE
MONDE | 19.09.2012 à 10h58 • Mis à jour le 19.09.2012 à
11h26
Note du
webmestre, Henri Charcosset : on trouvera
d’autres références pertinentes sur
l’orientation et le sens de la fin de la vie, à la page : CLIC
C'est un texte coup de
poing qui devrait secouer les médecins et soignants des soins palliatifs. Sociologue,
directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS),
Philippe Bataille publie,
mercredi 19
septembre, A la vie, à la mort.
Euthanasie, le grand malentendu (Autrement, 128 pages, 12 euros).
Ce récit est le fruit de plusieurs années d'observation dans une unité de soins
palliatifs de la
région parisienne.
Dans cet ouvrage
émaillé d'exemples poignants de patients en fin de vie, Philippe Bataille
dénonce ce qu'il appelle le "palliativisme",
soit le déni, par les médecins des soins palliatifs, de la demande de mort qui
hante parfois leurs services. Alors que François Hollande a demandé au
professeur Didier Sicard, ancien président du comité d'éthique, de réfléchir à
la possibilité d'aller plus loin que le cadre législatif actuel, le
sociologue souhaite replacer le débat sur le seul terrain qui vaille à ses yeux :
celui du respect du consentement des patients, au nom du droit des malades à
disposer d'eux-mêmes.
Dans votre livre, vous
attaquez durement les soins palliatifs en dénonçant certaines
de leurs pratiques soignantes. Pourquoi ?
Je n'attaque pas les
soins palliatifs en général, qui font très bien leur travail d'accompagnement
en fin de vie. Ce qui pose problème et que je dénonce, c'est une certaine
déviance des soins palliatifs que j'appelle
le "palliativisme" : une forme
d'idéologie poussée à l'extrême de l'application de l'adage des soins
palliatifs selon lequel on ne doit jamais hâter ni retenir la mort. Les soins
palliatifs veulent faire en sorte que la
mort ne soit pas le produit de la médecine et encore moins le produit d'une
volonté ou d'une intention. La mort doit venir naturellement, le médecin se
"contentant" de soulager les douleurs. Or, il y a des
patients incurables qui ne souhaitent pas mourir de cette façon. Ils sont fatigués
après des traitements qui les ont souvent épuisés, et ils demandent d'en finir
car ils sont arrivés au bout du chemin.
Qu'est-ce que cela
veut dire pour un malade ?
Qu'il ne se passe
rien. Quand Michel Salmon, un patient atteint d'un locked-in
syndrom après un AVC, demande à mourir, il ne se
passe rien. Car la demande d'en finir, la demande d'un arrêt de vie, qui
nécessiterait un geste actif, est systématiquement bloquée par le palliativisme.
Les médecins ont opposé à M. Salmon l'impossibilité de ce geste actif et l'ont
renvoyé à l'application de la loi Leonetti sur la fin
de
vie, qui a théorisé le
fameux "laisser-mourir". M. Salmon a dû subir l'arrêt de
l'hydratation et de l'alimentation accompagné d'une sédation. Cela a duré vingt
jours avant que son coeur lâche enfin.
Vous dites que c'est
un déni du malade ?
Je dis que nous sommes
en face d'une contradiction. La société et la médecine invitent de plus en plus
le malade à être acteur de sa maladie. Cette évolution, actée par la loi sur le
droit des malades de 2002,
vient buter sur la loi Leonetti, qui dénie au
contraire au patient la possibilité d'être acteur de sa maladie (donc de sa
vie) jusqu'au bout. Et ce au nom d'un idéal médical, d'une approche
philosophique, morale et
politique qui fait le fondement du palliativisme. C'est
l'idée que le malade n'est plus en capacité de décider pour lui-même car il
serait en situation de vulnérabilité. Le patient est disqualifié. Car, si on le
considère comme vulnérable, on peut le déposséder de son libre arbitre au nom de la
solidarité collective. Le patient est vu comme un enfant, un bébé ne se
possédant plus, et toute revendication d'en finir est
interprétée comme une volonté de maîtriser sa mort et d'en imposer les conditions au
monde de la médecine.
Et cela, c'est
illégitime ?
Du point de vue des
médecins palliativistes, oui. Et d'ailleurs, si le
malade exprime ce désir, ce sera interprété comme la preuve de sa vulnérabilité
et la nécessité de le prendre en charge. Le monde médical
évacue le débat nécessaire sur la conduite à tenir face à ces malades qui
réclament d'en finir, au nom de l'interdit de tuer. Pire, à l'intérieur du
monde médical, ce débat a été capté par les soins palliatifs, qui, tout
en étant entièrement tournés vers la mort du patient, ne lui laissent aucune
place sur la manière d'aborder sa mort et de faire part de ses propres
volontés.
En réalité, la
médecine est mal à l'aise face à cette possibilité de donner la mort : elle
sait qu'on peut aller très loin, techniquement, dans le prolongement de la vie.
Il y a là un vertige de la médecine face à ses
possibilités et à sa toute-puissance. D'où un vrai blocage face à ce geste possible et
la construction de tout un appareillage idéologique pour développer une sorte
d'idéal de la mort douce.
Pourtant, les soins
palliatifs ont coutume d'affirmer que les demandes d'euthanasie s'effacent si
on traite la souffrance physique et psychique...
Ce n'est pas vrai,
mais les malades n'osent même plus le dire. Ils sont culpabilisés d'avoir envie
de hâter leur propre mort, et leurs proches aussi. L'interdit de tuer est tel
qu'on ne peut même plus penser ou
désirer que son proche meure, au risque d'être accusé de vouloir le tuer. Il y a
là une dimension terriblement normative dans l'accompagnement : les proches
viennent-ils assez voir leur parent mourant, souvent,
longtemps, pas longtemps, combien de fois ? Tout cela fait l'objet de regards,
d'échanges cliniques par les soins palliatifs.
La loi permet
cependant aux patients de faire valoir leur volonté, notamment par le biais des
directives anticipées...
Les directives anticipées ne sont pas respectées. Dans mon livre, je
donne l'exemple du sociologue François Ascher : avant
d'être en phase terminale de sa maladie, il a fait appel à des médecins, s'est renseigné
sur les possibilités de la loi et a consigné clairement ce qu'il voulait dans
des directives anticipées – il souhaitait mourir à domicile, qu'on l'endorme et
ne plus jamais se réveiller, ce qu'on appelle une sédation
terminale. Eh bien ces directives ont été bafouées et ridiculisées par le médecin de
service, qui ne voulait pas s'y soumettre. Et la sédation ne lui a pas été
accordée (il a été régulièrement réveillé), au prétexte
qu'il "voulait se donner la mort".
Dans le cas de
François Ascher, comme dans d'autres, ce qui n'est
pas supporté par les médecins, c'est d'utiliser la médecine comme une technique
permettant au patient de ne pas affronter sa mort ou de ne
pas aller au terme de sa maladie. On arrive ainsi à des situations qui
ressortissent véritablement de la cruauté pour ceux qui les vivent. Quand
quelqu'un a vraiment décidé de partir et qu'il en est empêché,
quand c'est décidément très long, on peut parler de déni de soins et de
maltraitance.
Que préconisez-vous ?
Il me semble impératif
de réintroduire la parole du malade et d'entendre ce qu'il a à dire de sa
propre fin. Les médecins opposés à l'euthanasie caricaturent la demande d'aide
active à mourir comme si c'était une
demande autoritaire, ils dénoncent la volonté de maîtrise, grossissent l'influence
réelle de l'Association pour le droit à mourir dans la dignité – dont je ne
partage pas les revendications. Alors que ce n'est pas de
cela qu'il s'agit. Il ne s'agit que de quelques demandes exceptionnelles par
an, qu'on doit traiter, au nom du droit des malades et du respect de leur
consentement. En quoi serait-on un moins bon médecin quand
on regarde la maladie
tuer le patient ou quand au contraire on l'accompagne dignement, avec un geste
actif, au moment où il le réclame et de manière évidemment contrôlée ?
Qu'attendez-vous de la
mission du professeur Didier Sicard mise en place par François Hollande sur la
fin de vie ?
J'attends qu'elle
mette en oeuvre la proposition 21 du candidat
Hollande qui s'est engagé à ce que tout malade en phase terminale puisse
bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la
dignité. Il faut ouvrir une exception d'euthanasie, accordée par un collège de
médecins, à l'image de ce que préconisait, justement, le Comité d'éthique, en
2000, quand il était présidé par Didier Sicard. Cela
n'ouvrirait en rien la voie à des milliers de cas, comme les détracteurs de
l'euthanasie l'affirment. Nous devons trouver les procédures qui permettent de
satisfaire cette demande au cas par cas. Il faut sortir de
cet absolu interdit de tuer.
Cécile Prieur (propos
recueillis)