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Avril  2014

 

APPRIVOISER SON OMBRE. COMMENT UNIFIER NOTRE PERSONNE EN NOUS ASSUMANT PLEINEMENT

                                Jean MONBOURQUETTE

   Éditions Fayard, 2001

 

Introduction par Henri Charcosset.

L’ombre est définie selon Jung comme étant la « totalité de l’inconscient ».Nous reproduisons ici les pages 66 à 73 de l’ouvrage traitant de l’harmonisation de l’ego conscient et de l’ombre.

Sur Wikipedia :

 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Monbourquette

 ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Gustav_Jung

Remarque: portant  sur un sujet à première vue complexe, cet article est  très clair et de lecture enrichissante. 

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Trois impasses à éviter dans le travail sur l’ombre

La santé psychologique selon Jung consiste en partie à maintenir un juste équilibre psychique entre l’ego-idéal (persona) et l’ombre. Pour nous en rendre compte, examinons les effets nocifs de promotion de l’une des deux composantes au détriment de l’autre.

 

S’identifier à son ego-idéal en excluant son ombre

Qu’arrive-t-il à une personne qui s’identifie exclusivement à son ego-idéal,c’est-à-dire à sa persona ? Une telle identification entraîne chez elle la négation non seulement des pulsions de son ombre, mais de son existence même. De plus, elle nécessite une obéissance stricte aux codes d’un milieu social. Motivée par la crainte d’en être exclue, elle sera à l’origine d’une anxiété incontrôlable à la moindre infraction de sa part à ces règles. La personne, très attentive à deviner les attentes réelles ou imaginaires de son milieu et à soigner constamment son image sociale, finira par renoncer à satisfaire ses aspirations légitimes.

Le type du perfectionniste est un exemple de ce travers. Incapable de rester en contact avec son « senti » et de l’exprimer, il essaie de dissimuler ses faiblesses, par peur de se voir pris en défaut. Toujours en alerte, il craint de commettre un impair dans son travail ou ses relations. Il se trouve dans un état perpétuel de stress. Nul ne s’étonnera alors de son intransigeance tant à l’égard de lui-même que des autres et de sa rigidité psychologique, morale et spirituelle.

Les efforts déployés par le « perfectionniste » pour faire échec à l’émergence de son ombre deviendront à la longue intenables. La tension psychique résultante provoquera toutes sortes de réactions pénibles : obsessions, peurs incontrôlables, préjugés, écarts compulsifs sur le plan moral, sans parler de l’épuisement psychologique et des états dépressifs dont il souffrira.

Ce type psychologique pourrait se comparer à celui que le théologien Richard Côté décrit comme « un intolérant à l’ambiguïté » qui présente les « traits suivants : faible estime de soi, raideur de pensée, étroitesse d’esprit, dogmatisme, anxiété, ethnocentrisme accentué, fondamentalisme religieux, conformisme, préjugés et faible créativité »17.

À première vue, le tableau apparaît désespérant. Cependant, rappelons-nous l’adage : « À quelque chose, malheur est bon. » La dépression d’un individu sera un signal clair qu’un changement s’impose et qu’il ne doit plus continuer à s’identifier à son ego-idéal. Ce phénomène se vérifiera surtout au milieu de la vie, au moment où la reconnaissance de l’ombre se fait plus impérieuse. La personne reconnaîtra alors que le temps est venu pour elle de faire de la place à l’ombre qu’elle essayait en vain d’occulter.

 

S’identifier à l’ombre seulement

Une autre façon intenable de résoudre la tension persona-ombre consisterait à privilégier le côté sombre de soi et à obéir à ses pulsions sans discernement. Celui qui opterait pour cette solution deviendrait vite la proie de son ombre. Il adopterait toutes sortes de conduites répréhensibles : comportements déviants, instinctuels, primitifs, infantiles et régressifs, etc. La vie en société s’avérerait impossible pour lui,car il laisserait alors libre cours à tous ses penchants sadiques, envieux, jaloux, sexuels et autres. Bref, celui qui consent à devenir son ombre se condamne à vivre sous la coupe de ses désirs.

Je ne puis m’empêcher de penser ici aux effets déplorables de certaines thérapies qui prétendent permettre à un individu de s’épanouir en éliminant chez lui toute forme d’inhibition. Il arrive souvent à ceux qui ont été initiés à pareilles pratiques de devenir incapables de bonnes relations avec leurs proches, de travail en équipe ou encore de collaboration avec l’autorité. Dans les années 1970, on a observé que certains « initiés » de la thérapie du Cri primal n’étaient plus capables de vivre avec leur famille et leurs compagnons de travail. Le seul espoir d’avoir une vie sociale était pour eux de se joindre à d’autres comparses ayant suivi la même thérapie.

Le roman de Robert Lewis Stevenson, The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde, illustre bien le danger de s’identifier exclusivement à son côté ombrageux. John Sanford, analyste jungien, a fait une analyse pénétrante de cette histoire où le héros, le docteur Henry Jekyll, succombe à l’envoûtement progressif exercé par son ombre. En buvant une potion qu’il a lui-même concoctée, le généreux médecin se transforme peu à peu en un personnage sordide, Edward Hyde. Après ses premiers essais d’identification à son ombre, c’est-à-dire son alter-ego qu’est Hyde, Jekyll se rend compte du danger qu’il court. Il s’empresse donc de justifier son histoire de dédoublement qui peut, soupçonne-t-il, le conduire à la déchéance morale. Il essaie de se convaincre qu’il fait cette expérience au nom de la science. Pour se donner bonne conscience, il qualifie d’« anodine » cette transformation. Il va même jusqu’à n’y voir qu’une certaine gaiety of disposition. En vérité, la dangereuse fréquentation de son « double », Hyde, lui apporte une certaine jouissance qui pourrait, tout au plus, l’amener à commettre des incartades sans conséquence.

John Sanford, dans son commentaire de l’ouvrage, a montré que l’erreur fondamentale du docteur Jekyll fut de consentir à devenir son ombre. Loin d’essayer d’établir une tension féconde avec son double, le docteur Jekyll refuse l’inconfort de sa situation et choisit de se perdre en Edward Hyde18. Le libertin n’en fait-il pas autant quand il affirme que la meilleure manière de se débarrasser d ‘une tentation est d’y succomber ?

À mesure que Jekyll se complaît à devenir Hyde, il cède de plus en plus aux exigences de ce ténébreux personnage. Ses résolutions répétées de vouloir arrêter l’affaire — il retournera même à sa pratique religieuse pour y parvenir — ne réussissent pas à le libérer de l’emprise de Hyde. Il atteint alors un point de non-retour où tout sens moral et toute maîtrise de lui-même lui échappent. Il est dès lors à la merci de forces diaboliques contre lesquelles il ne peut plus rien. Impuissant à résister à ses pulsions de sadisme, il va jusqu’à tuer son collègue, le bon docteur Carow.

L’aventure du docteur Jekyll illustre bien l’échec auquel conduit l’abandon aux pulsions de l’ombre. Cette attitude, loin de résoudre la tension morale, ne favorise pas la réintégration de l’ombre.

 

S’identifier tantôt avec l’ego, tantôt avec l’ombre

Dans la vie courante, il est plutôt rare de rencontrer des cas aussi extrêmes que ceux du « perfectionniste » ou du docteur Jekyll. La troisième impasse, plus courante, consiste à entretenir une double vie. Dans ce cas, les individus mènent habituellement une vie morale exemplaire. Leur réputation de conjoint, de parent et de citoyen modèle fait l’envie de tous. Puis surviennent des moments de fatigue ou de déprime. Ils prennent alors des libertés à l’égard de leurs principes moraux. Ces écarts temporaires de conduite prennent des formes variées avec des degrés de gravité très divers : frasques amoureuses, aventures sexuelles, accès de colère, excès de boisson, petites crapuleries, calomnies, médisances, etc.

Ces personnes séduites un instant par la tentation se ressaisissent, regrettent leur faute, prennent de bonnes résolutions… jusqu’à ce qu’elles succombent à nouveau. Elles sont en effet prisonnières d’un cycle infernal. Il me vient ici à l’esprit le cas de ce prêtre, réputé pour son dévouement inlassable. Après des périodes de travail intense, il se laissait envahir par une de ses sous-personnalités ombrageuses qui l’amenait à des inconduites d’ordre sexuel. Pendant plusieurs années, il connut des périodes de générosité alternant avec des périodes d’écarts sexuels.

La plupart des alcooliques connaissent bien ce genre d’alternance : sous l’influence de l’alcool, leur ego sobre et exemplaire chavire dans leur ombre alcoolique. C’est comme si on assistait à un dédoublement de leur personnalité. Il est alors remarquable de constater que leur côté alcoolique révèle les qualités opposées à celles de leur côté sobre : en état d’ébriété, des doux se montrent violents ; des chastes reconnus pour leur retenue ont des conduites sexuelles osées ; des avares laissent voir leur côté généreux ; des athées s’adonnent à la prière, etc.

 

B. Comment gérer la montée progressive de son ombre

 

Assumer la tension entre l’ego et l’ombre

On n’échappe pas à un dilemme en éliminant l’un des ses aspects. Ainsi en est-il du dilemme ego-idéal contre ombre. Il importe d’assumer la tension qui en résulte. Au départ, le sujet se trouve tendu et tiraillé entre ces réalités en apparence inconciliables,voire contradictoires. Mais s’il persiste à demeurer dans cet état inconfortable, il verra son moi profond, le Soi, se charger d’harmoniser ces pôles ; d’opposés, ils deviendront complémentaires.

L’affrontement dramatique de l’ego et de l’ombre a reçu diverses appellations dans la littérature symbolique qui, dans une perspective spirituelle, aborde le domaine de la psyché. Qu’il suffise d’en mentionner quelques-unes. Les alchimistes l’appellent « nigredo » ; les mystiques, « les nuits de la foi » ; dans les mythes d’Osiris et de Dyonisios, on le décrit en termes imagés de « démembrement de la personne » ; dans le chamanisme, on parle de « la mise en morceaux » et de « cuisson dans le chaudron ». Par ailleurs, les rites initiatiques décrivent le conflit ego-ombre sous la forme symbolique d’une « torture » ou d’un « ensevelissement. » Plus près de nous, le christianisme le compare à la « mort du vieil homme » et à une « crucifixion ».

Durant sa croissance psychologique et spirituelle, toute personne se verra un jour ou l’autre aux prises avec des émotions et des sentiments inacceptables ainsi qu’avec de fortes pulsions instinctuelles et irrationnelles. Aussi, elle devra apprendre à ne pas leur donner libre cours et à ne pas les refouler. Elle devra tout simplement reconnaître que ces mouvements font partie de son dynamisme interne et devra les accepter, sans chercher à s’en défaire. Cette attitude d’accueil, qui évite tant le défoulement que le refoulement, rejoint l’enseignement de la philosophie zen sur le traitement de la colère : on s’abstient d’agir sous le coup de la colère, mais on se garde de la refouler ; on l’accueille en soi en vue de l’apprivoiser.

Au cours de la vie, l’ombre crée sans cesse des clivages entre des entités psychiques qui demandent à être éventuellement harmonisées. Robert  Johnson19 soutient que transcender les oppositions apparentes en cultivant le sens du paradoxe constitue un progrès inestimable sur le plan de la conscience. Bien des gens vivent sur un mode duel : on aime ou on hait ; on exprime ses émotions ou on les réprime ; on travaille ou on se repose ; on se donne aux autres ou on prend soin de soi ; on entre en relation avec quelqu’un ou on s’isole ; on agit ou on médite, etc. Or, ces oppositions apparentes se révèlent complémentaires pour qui a cultivé une vision paradoxale des choses.

Par ailleurs, le maintien d’une mentalité dualiste nuira considérablement au développement spirituel. Tout progrès dans cet ordre présuppose en effet une vision harmonisante des antinomies du réel. Ainsi, celui qui ne parvient pas à résoudre les tiraillements de sa vie intérieure provoqués par les conflits d’ordre émotionnel,
les pulsions contraires, les devoirs opposés, les valeurs d’apparence contradictoires, etc., se condamne à la stérilité spirituelle. En revanche, celui qui réussit à concilier les dualités rencontrées dans son existence a de fortes chances de parvenir à une vie spirituelle harmonieuse. C’est ce qui fait dire à Robert Johnson, cet analyste jungien, que l’art de transformer les contradictions en paradoxes appartient à la fonction symbolique de la religion. Pour lui, le sens du paradoxe permet d’atteindre un état supérieur de conscience…

 

17. R. CÔTÉ, « Dieu chante dans la nuit : l’ambiguïté comme invitation à croire »,
dans Concilium, 242 (1992), p. 120.

18. ZWEIG, op. cit., p. 32.

19. R. A. JOHNSON. Owning your Own Shadow : Understanding the Dark Side of
the Psyche
, San Francisco, Harper, 1991.

 

Robert Johnson, analyste jungien, est un conférencier renommé. Il est également l’auteur de nombreux livres, dont He : Understanding Masculine Psychology, She : Understanding Feminine Psychology, We : Understanding the Psychology of Romantic Love.