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Janvier 2014

« NE PERDONS-NOUS PAS NOTRE AME A TRAITER LES ANIMAUX COMME LE FAISONS ? »

 

Entretien  Corine PELLUCHON, Propos recueillis par Mélanie Déchalotte

 

 Le Monde des Religions – mai-juin 2013,                       http://www.lemondedesreligions.fr/

 

 

Philosophe spécialisée en éthique appliquée, Corine Pelluchon a écrit de nombreux ouvrages qui témoignent de son engagement sur la question animale. Elle a notamment publié, en 2011, Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature (Cerf). Prônant une nouvelle philosophie du sujet, elle place la cause animale au cœur de sa réflexion pour l’instauration d’une éthique de la vulnérabilité.

 

À vous lire, il semble que la question de l’âme des bêtes ait longtemps été prise dans un questionnement philosophique plus large : qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ?

En effet. Cette question polémique donna lieu à ce qu’on appelle une querelle philosophique, surdéterminée par des enjeux théologiques. Pour le christianisme, l’âme est immortelle. Or si les bêtes ont une âme, elles sont immortelles, ce qui est contraire à la doctrine chrétienne. De plus, si l’on ne fait pas de différence entre l’homme et l’animal,la question se pose de savoir ce qui fonde la dignité de l’homme. Pourtant, dès le XVIe siècle, Montaigne va expliquer que pour affirmer la dignité de l’homme, on n’a pas besoin d’affirmer l’indignité des bêtes. Dans les Essais, il dit que les animaux ont une forme d’intelligence et qu’il ne faut pas la mépriser parce qu’elle nous échappe. Comme pour  Lévi-Strauss plus tard, le mépris envers les bêtes annonce le mépris envers les peuples primitifs. Au XVIIe siècle, Descartes s’oppose à Montaigne en reprenant l’idée aristotélicienne selon laquelle l’âme des bêtes est sensitive, mais pas intellectuelle.
La différence entre l’homme et l’animal est le langage articulé qui suppose la raison. Montaigne insistait ; quant à lui, sur l’hétérogénéité de l’intelligence et sur l’altérité radicale de l’animal. Cette querelle sur l’âme des bêtes qui s’étend jusqu’au XIXe siècle montre que la question n’est pas bien posée : à partir du moment où l’on va prendre en compte la sensibilité comme capacité à souffrir, la question n’est plus de savoir si l’animal a une âme immortelle ni s’il ira au paradis, mais de dire que nous ne devons pas le traiter n’importe comment.
Ne pas respecter cette vulnérabilité que nous partageons avec l’animal est une faute.


Loin d’un débat métaphysique, il s’agit donc de penser l’animal dans sa vulnérabilité…

L’âme des animaux est une manière de parler historiquement située. Plutôt que de se focaliser sur leur âme, nous devons réfléchir à ce que nos comportements à leur égard disent de nous. Ne perdons-nous pas notre âme à traiter les animaux comme nous le faisons ?
À force de maltraiter les animaux, notre civilisation est marquée, pleine de stigmates, et l’image de nous qui apparaît dans ce miroir qu’est le rapport aux vivants est celle d’humains défigurés. Notre modèle de développement qui transforme tout en marchandise est vu dans toute son horreur. Car il y a une rupture entre l’élevage extensif où l’éleveur prend soin de ses bêtes, même s’il les conduit à une mort provoquée, et l’élevage intensif qui s’est généralisée aujourd’hui, du moins pour les poules et les cochons qui subissent une véritable torture.

 

Pensez-vous que l’on puisse mesurer la bonne santé d’une démocratie à l’aune du traitement animal ? La question animale est-elle une question politique ?

Oui. Cette question est un coup de projecteur sur l’organisation du travail. Il est déterminé à partir d’un chiffre maximal de production et fondé sur le déni du sens des activités et de la valeur des êtres impliqués. Ainsi, nous contraignons les animaux à s’adapter aux contraintes d’un élevage calqué sur la production en série d’objets manufacturés, alors que l’élevage devrait respecter les besoins éthologiques des bêtes. C’est une transgression car nous nous octroyons un droit absolu que nous n’avons pas. Nous mettons les truies dans des cages exiguës et castrons à vif les porcelets. Cette violence envers les animaux nous accuse. Pourtant, le rapport aux animaux pourrait être l’occasion de penser une manière d’habiter la Terre qui rend possible la coexistence avec les autres espèces. Cela exige d’autres fondements de l’éthique et de la politique. La limite à mon action n’est plus seulement liée au fait que je crée un dommage aux autres hommes. Les principes du droit politique doivent être définis autrement que dans le contrat social classique, parce que le sens de notre existence n’est pas exclusivement déterminé par notre pouvoir de consommer. L’éthique, c’est l’autolimitation, le fait que je pose des limites aux moyens que j’utilise pour ma conservation parce que je ne veux pas imposer aux autres vivants une vie de torture ni dégrader la planète.
Les animaux et la nature entrent ainsi dans la définition de soi.

 

Selon vous, la question animale ne peut pas être seulement une question de droit liée au statut juridique des bêtes. Les religions ont-elles aussi leur mot à dire ?

Oui. Nous ferions un grand pas en invitant les représentants des religions à être plus concernés par la condition animale. Les religions n’incitent pas à une posture de domination vis-à-vis de la nature. Au contraire, elles nous exhortent à demeurer les intendants de la création. Le respect des créatures est aussi une manière de rendre gloire au Créateur, comme chez saint François d’Assise. Que seraient une bonté et une sainteté qui seraient sourdes à la souffrance des animaux, surtout à celle que notre avidité leur impose ? La prise en compte de nos rapports aux animaux est une étape indispensable dans la construction d’un concept rigoureux de la responsabilité. L’animal est un vecteur de l’éducation, parce qu’il invite à poser la question du sens et de la place de la pitié dans notre vie. Les religions ont un rôle majeur à jouer dans l’élaboration d’un nouvel humanisme, parce qu’elles sont une méditation sur le mal et sur la possibilité de ne pas y succomber, fût-ce en devenant un rouage dans une machine infernale. L’homme nouveau, ce pourrait être un homme concerné par son prochain, mais aussi par l’animal. La charité n’est pas radine. L’indifférence à la question animale rogne les ailes de l’espérance. La question animale pourrait être un chapitre nouveau dans l’histoire des religions du Livre.