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Mars  2013

LE CREPUSCULE DE LA RAISON. LA MALADIE D’ALZHEIMER EN QUESTION

 

                   Jean  MAISONDIEU

 

Éditions Bayard, 2011, cinquième édition.

 

          Extrait par Henri Charcosset 

 

 

Psychiatre des hôpitaux, Jean Maisondieu est l’auteur de plusieurs ouvrages dont aux éditions Bayard, Les alcooléens, La fabrique des exclus et Liberté, égalité…psychiatrie.

 

Depuis une trentaine d’années , le nom d’Alzheimer permet de regrouper une nébuleuse de troubles démentiels survenant essentiellement dans la deuxième partie de la vie et caractérisés par l’altération des facultés intellectuelles et notamment de la mémoire, drame absolu pour ceux qu’elle atteint ,charge affective et matérielle énorme pour leurs proches. Problème majeur de santé publique, cette maladie est d’autant plus redoutée que les ressources thérapeutiques restent désespérément pauvres malgré des recherches poussées.

N’est-on pas en train de fausse route ? La maladie d’Alzheimer n’est-elle pas aussi le symptôme d’une société qui, par peur maladive de la mort, rejette ceux d’entre ses membres qui ne parviennent plus à cacher leur mortalité? Pourquoi ne pas envisager alors qu’affolés, coincés entre mort réelle et mort sociale, ceux-là s’efforcent de ne pas penser pour ne pas réaliser ce qui leur arrive?

C est la thèse que propose Jean Maisondieu depuis 1989, date de la première édition du Crépuscule de la raison : tout autant que l’atteinte cérébrale, l’angoisse de mort et les perturbations qu’elle induit dans la relation à autrui doivent être considérées comme des facteurs possibles des troubles démentiels.

 

Page 37-39

Du fait d’une pratique en milieu psychiatrique, j’ai été amené à rencontrer des déments. À les observer, à essayer de communiquer avec eux, je suis arrivé  à cette conclusion qu’ils se démentifiaient surtout parce qu’ils mouraient de peur à l’idée de mourir. Le cerveau des patients alzheimériens est peut-être altéré, mis ces malades sont surtout malades de peur. La mort naturelle est un sujet tabou. Elle guette les vieux, et ils ne peuvent parler.  Certains deviennent déments : altérés par l’image de leur visage vieilli que le miroir leur renvoie, ils refusent de se reconnaître, obsédés par la crainte de devoir disparaître, ils refusent de se réfléchir et détruisent leur raison dans un effort désespéré pour échapper à une lucidité insupportable.

Non! Les déments ne sont pas fous. Leur comportement a un sens, et nous devons apprendre à le déchiffrer pour le comprendre. Parce qu’ils sont des « morts-vivants », selon l’expression de l’un d’eux dans un  éclair de lucidité , ou plutôt à l’occasion d’un effort poignant de communication , ils nous font peur , et nous ne voulons pas essayer  de les entendre , nous refusons de leur ressembler et nous les condamnons à la démence à perpétuité .

 

Oui! La maladie d’Alzheimer est pour une bonne part une maladie imaginaire. Production de l’imagination morbide de ceux qui en présentent les signes, elle s’entretient de l’imagination défensive de ceux qui l’ont isolée comme entité nosologique et se cramponnent à sa description pour éviter de percevoir le message insoutenable de leur semblable déchu: «  Je vais mourir, j’ai peur, et vous n’y pouvez rien, comme moi. »

Il est temps de faire preuve d’un surcroit …d’imagination, de reconnaître les limites des sciences fondamentales. Leurs possibilités sont parcellaires, elles ne concernent que l’objet démence. Jamais elles ne seront capables d’appréhender le sujet dément dans sa solitude écrasante, entretenue par ses rapports malheureux avec les autres.

Pour que le pronostic de la démence change et qu’un espoir naisse, un préalable s’impose, la destruction du sarcophage nosologique dans lequel est enfermé, comme une momie, le sujet dément. On ne pourra le ranimer qu’en acceptant de prendre en compte l’angoisse de mort. Son action dévastatrice se fait sentir chez le sujet désigné comme dément, mais elle contamine aussi ses familiers et elle est  à l’œuvre dans l’ensemble de la société. Les interactions qu’elle provoque entre tous ces partenaires peuvent, lorsque les conditions s’y prêtent, aboutir à cette catastrophe existentielle que l’on nomme démence et qui n’est (peut-être) qu’un artefact.

L’impasse très généralement faite sur la violence des sentiments à l’œuvre chez les déments dans leur entourage familial ou soignant et dans la société en général, a tous les caractères d’une défense. L’horreur est au rendez-vous, la honte également, et la culpabilité n’est pas en reste. Refouler ou dénier tous ces sentiments permet de « tenir »  quand le découragement se fait jour et que les souhaits de mort envahissent le psychisme. À ce titre, la démence fait fonction de bouc émissaire. Considérée comme la cause unique de tous les malheurs, c’est sur elle que convergent les pulsions agressives nées de l’impuissance  et de l’horreur  devant la mort inéluctable  que préfigure le déclin. Ce déplacement, s’il a le mérite d’épargner au vieillard déchu d’être trop complètement rejeté, n’est pas sans inconvénients. Il contribue à la fabrication  et à la pérennisation de la maladie.

Elle est, dans cette perspective, la concrétisation pathologique de l’échec d’une rencontre entre ceux, plus jeunes, qui ont la vie devant eux et ne veulent pas entendre parler de la mort, et ceux plus âgés, dont la mort barre l’avenir et qui voudraient bien ne pas le savoir.

Complices les uns et les autres dans cette loi du silence, nous ne pourrons espérer prévenir (sinon guérir) la démence que dans la mesure où nous acceptons de réintroduire une certaine familiarité avec la mort dans notre vie, pour perdre l’illusion tenace qu’elle est un accident qui arrive qu’aux autres, les vieux. À ce prix, les vieillards cesseront  d ‘être  des épouvantails, et nous pourrons apprendre à dialoguer avec eux, alors qu’actuellement  nous les renions pour ne pas leur ressembler, dans l’espoir fou de conjurer le mauvais sort qu’ils représentent.

En réalité, la faillite de l’intelligence en fin de vie est l’histoire absurde, liée à la peur de la mort, de miroirs humains qui se regardent, ne veulent pas se voir et ne peuvent éviter de le faire. Les vieux sont les reflets spéculaires effrayants des jeunes et ils s’épouvantent de ne plus être comme leurs descendants qu’ils envient. De ce face-à-face terrible qu’aucun mot ne vient atténuer, car il n’y a plus rien à (se) dire, peuvent naître la démence et la souffrance qu’elle promet.

 

Pour démontrer que les choses se passent bien ainsi, il faudrait prendre un certain recul, accepter  de ne pas rester cantonné dans le champ étroit de la démence organique et d’élargir  la perspective pour y inclure la personne du malade, sa famille, et l’entourage médical et social.

Après avoir décrit ces gens que l’on appelle déments, analysé ce que la médecine déclare à leur propos et rapporté ce qu’eux-mêmes m’ont fait comprendre dans la réalité de la pratique quotidienne, il faudra démonter le système, montrer comment il fonctionne et pourquoi il sécrète de la démence. Il sera alors possible de jeter les bases d’une nouvelle clinique moins désespérante que celle qui s’offre à nous actuellement, et d’ouvrir des perspectives thérapeutiques susceptibles d’infléchir le pronostic, tant au niveau individuel que familial et social.

Sortir de l’impasse médicale. S’il peut être utile de traquer la démence au bout du microscope, de chercher son origine au creux des cellules nerveuses, il est en revanche néfaste de ne vouloir la considérer sous le seul angle biologique. Le manque de largeur de vue, inévitable dans ce pays, glisse facilement vers l’étroitesse d’esprit. Ceux, qui par les

 nécessités  de leurs techniques, sont obligés de réduire le champ de leurs explorations, risquent d’autant plus de se mettre des œillères qu’ils ont pu choisir leur domaine d’investigation,  par refus de s’intéresser à l’au-delà des réalités «  objectives ». Négatifs de l’inconscient, ces sceptiques de la psyché se cramponnent à leurs instruments et s’enferment dans leurs mesures. Par leurs bons soins, le sujet se réduit à la dimension d’objet. Ils ne peuvent voir qu’en prenant la lorgnette par le petit bout, ils passent à côté de l’essentiel: l’homme dément. Des lors, ce qu’ils appellent dans leur jargon « maladie d’Alzheimer » peut apparaître, mais elle est surtout la réponse d’un sujet chosifié à la chosification dont il est l’objet.

Pour éviter ce glissement néfaste, il convient d’élargir le domaine de la réflexion, quitte à mettre entre parenthèses le problème de l’atteinte anatomique ou chimique. Par cet artifice, le dément peut cesser d’être perçu comme un décérébré pour devenir un partenaire dans une relation humaine, rencontre d’un savoir de science avec un savoir de souffrance.

Or, les nouveaux psychiatres, fascinés par les prouesses des neurobiologistes et les progrès de l’exploration du cerveau qui permettent de mieux percer les secrets de son fonctionnement, ne considèrent plus l’inconscient que comme une vue de l’esprit  (ce qu’il est effectivement), dont-ils estiment qu’on peut aisément se passer pour traiter objectivement (!) les troubles de quelque patient psychiatrique que ce soit, afin de l’aider efficacement. Ils ne se rendent pas compte qu’en voulant enclore le « mal » uniquement dans la biologie , ils en sont réduits à essayer de guérir seulement des maladies , au lieu d’essayer de soigner des sujets souffrants en faisant la part des choses entre les troubles , qui ne sont que les symptômes de la maladie, et ceux qui sont les signes d’un mal-être indicible autrement. Parce que dans cette perspective, la maladie  devient l’unique cause de tous les troubles présentés par le patient, sa propre parole ne pèse d’aucun poids devant la science de l’expert qui se penche sur son cas. Il n’a rien à dire de personnel, il n’ plus qu’à répondre à des questionnaires standardisés, afin que ses symptômes puissent entrer commodément dans les listes d’items retenus comme valides, et que le diagnostic soit posé…

 

Page 311.

 Il reste aujourd’hui impossible de savoir si ce que nous appelons démence à des racines biologiques profondes, relève des difficultés psychiques, s’inscrit dans le cadre de troubles de la communication ou renvoie à une pathogénèse. En fait, tous ces facteurs interviennent et interagissent les uns par rapport aux autres. De  ce fait, les interventions psychothérapiques, les actions sociales ou les traitements médicaux à envisager doivent d’être en tenant compte de la complexité du problème, dans le respect des autres approches et, de toute façon, sans privilégier une approche plutôt qu’une autre,  a priori.

Le spectacle de la vieillesse n’est insoutenable que dans la mesure où il  est représentation de la mort avant l’heure. La «  cadavérisasion » des dernières années de la vie n’est que le fruit de notre imagination qui anticipe ce qu’elle redoute. Elle fait des caractéristiques de l’âge des signes de mort. Ainsi, la discontinuité radicale entre le vivant et le cadavre est déplacé en amont. La barrière de répugnance, qui spontanément marque la séparation entre le pourri et le vif, est remplacé par la clôture culturelle qui, en rompant la continuité entre la jeunesse idéalisée et la vieillesse dévaluée, place les personnes âgées dans le domaine de l’abject en contact direct avec la mort.

Afin que la vieillesse redevienne le prolongement normal de la jeunesse, condition indispensable pour que les vieux soient acceptables et acceptés comme des humains à part entière,  un recadrage est indispensable d’autant plus nécessaire qu’il est légitime. Nous devons replacer les bornes de la civilisation aux frontières de la vie et non plus entre deux tranches d’âge, la tâche est difficile sans doute, elle n’est plus insurmontable.