Entrée sur site ; Septembre 2015

 

 

ALCOOLISME ET RETRAITE.  «  DANS QUEL BUT ON BOIT? »

 

Interview de Dr Emmanuel PALOMINO

 

Psychiatre , alcoologue, addictologue , au Centre hospitalier de Jonzac (Charente - Maritime)

 

Notre Temps, mai 2012

 

 

Notre temps. Pourquoi la retraite est-elle une période particulièrement risquée?

 

Dr Palomino .C’est un moment délicat de remise en cause sociale , conjugale, familiale , parfois de rupture , de veuvage ou de divorce . Parmi les personnes de plus de 60 ans qui ont un problème avec l’alcool , un tiers a commencé à boire après la retraite pour échapper à l’ennui, à la solitude …

 

Nt. la dépression et l’alcoolisme vont-ils souvent de pair?

 

Dr P. l’association est fréquente entre troubles dépressifs et troubles de l’alcool. Sans parler du mélange médicaments-alcool, détonnant. Si on soigne seulement la dépression , on aboutit à 100% d’échec . Si on soigne l’alcoolisme , on obtient 70% de guérison.

 

Nt. Quel est le rôle des groupes de soutien et de paroles?

 

Dr P. Après le sevrage aujourd’hui , nous en avons l’expérience et les moyens , c’est l’affaire d’une semaine -, il s’agit de vivre autrement , de changer ses repères , ses habitudes , sa façon d’être au monde. Les groupes d’entraide sont indispensables : on y apprend à prendre la parole, à parler de soi, à écouter , à respecter les autres, les lieux , les horaires, à créer du lien. On trouve là une famille , de la chaleur, des relations. On entend des inconnus raconter sa propre histoire ! Des personnes revendiquer ce qu’on essaie de dissimuler à tout prix:  «  je suis alcoolique… »

 

Nt. Comment prendre conscience que l’on a un problème avec l’alcool?

 

Dr P. S’interroger sur l’alcool , c’est se poser des questions , non pas en terrain de quantité mais d’intentionnalité: «  Dans quel but on boit ? » Est-ce un remède , une solution, un médicament, une béquille? Est- ce que cela nous aide à nous endormir , à nous évader, à lutter contre la timidité ou l’anxiété , à nous donner un coup de fouet, à nous remonter le moral? Quelle place cela prend-t-il dans notre vie? Comment boit-on: est-ce une habitude, un rite? Est-ce qu’il nous arrive de boire seul?

 

Nt. Pourquoi est-ce si difficile d’arrêter de boire?

 

Dr P. Arrêter , c’est facile , ne pas reprendre , voila la problème ! Face à l’envie de boire , la volonté doit s’appuyer sur  trois notions fortes:

1. La clarté du projet . Si mon projet est d’arrêter de boire , alors , c’est zéro verre . Pas d’arrangement .

2.  La constance : j’ai vu des rechutes après cinq , dix, vingt  ans d’abstinence ! Le groupe d’entraide , c’est la piqûre de rappel permanent,

3. L’humilité : admettre que l’alcool est plus fort que moi.

 

Nt.  Et le baclofène?

 

Dr P. On a constaté que ce médicament , utilisé pour lutter contre les contractures musculaires, pris à fortes doses , peut couper toutes envies de boire.  Cela nous offre des espoirs raisonnables que nous étudions. Mais la dépendance à l’alcool est trop complexe pour être réglée par la seule prise d’un médicament.

 

                   (1) il est aussi le président du mouvement Alcoolique anonyme ( AA France)

 

                   DES LIVRES

                            

Pour en finir avec l’alcoolisme,

Dr Philippe Batel, éd. La Découverte , Inserm, réédité en 2012 ,17€

 

De l’esclavage à la liberté, récits de vies commentés, Philippe Batel et Serge Nédélec, éd. Démos,7

 

Quand l’autre boit: guide de survie pour les proches de personnes alcooliques, Claude Uehelinger et Maryse Tschui,éd. 15,20€

 

Le dernier pour la route, Hervé Chabalier ,éd. Robert Laffont, 2001, 19€ . Ce témoignage d’une renaissance a donné un film avec François Cluzet.

 

J’ai bu parce que j’avais soif, Patrice Bazille ,éd. Anne Carrière ,13,50€

 

 

ASSOCIATIONS ET MOUVEMENT D’AIDE ET DE SOUTIEN.

 

 

Alcooliques anonymes ( les AA)

 

Ce mouvement organise des réunions de partages ou l’on accueille toute personnes qui a le désir d’arrêter de boire.  Un programme , en douze étapes, de travail sur soi et de réflexion spirituelle

www.alcoolique-anonymes.fr

Tél. 0820326883. 24

 

 

Alcool assistance

( anciennement La croix- D’Or)

 

Pour toute personne qui a un problème avec l’alcool , de l’usage dommageable à la dépendance .  Mouvement d’entraide et de soutien , lieu de réflexion , de prévention et de formation.

www.alcoolassistance.net

Tel. 0821002526

 

 

Alcool écoute joie et santé

 

Association présente dans l’est et le centre de la France.

Accompagne individuel du malade de l’alcool par un ancien malade, un membre de l’entourage, un ancien membre de l’entourage et partage en groupes.

www.alcoolecoutejoieetsante.com

Tel .0549506351

 

 

Croix-Bleue

 

Approche humaine et globale de la personne alcoolique dans sa dimension sociale, psychologique et spirituelle. Groupes de partage et d’accompagnement par un parrain.

www.croixbleue.fr

Tel. 0142283737

 

 

Vie libre

 

Mouvement de prévention et d’information. « Un jour tu guériras », phrase emblématique de vivre libre. Des équipes de  «  buveurs guéris » interviennent, souvent à la demande de l’entourage du malade.  Sensible  au monde agricole et au passage à la retraite.

www.vielibre.org

 

 

TEMOIGNAGE

 

Cette année  encore, toute la famille se réunit au restaurant des bords du lac. Au centre de la joyeuse assemblée , Annie , la grand-mère , qui remercie les siens de fêter avec elle cet anniversaire , son neuvième anniversaire d’abstinence .Voila neuf ans qu’elle n’a pas bu une goutte d’alcool. Le ton est à la joie. Le rude parcours qui précède appartient au passé.

Annie était institutrice depuis l’âge de 21 ans . Elle adorait son métier, le travail avec les enfants, les rencontres avec les parents, les relations chaleureuses avec ses collègues . En juin 1996, elle prend sa retraite , un peu frustrée dans des conditions moins intéressantes qu’elle ne l’espérait. En septembre , la rentrée des classes se fait sans elle . La voici à la maison , désemparée.  De plus en plus triste et déprimée , elle consulte son généraliste , qui lui prescrit des antidépresseurs.  Un jour ,en attendant son mari, elle se verse un petit verre de porto. Le lendemain , encore un verre et , quelques jours plus tard, deux , puis trois. Jusqu’ici Annie était une buveuse du dimanche . Elle avait bien remarqué, dans sa jeunesse , qu’un apéritif la mettait d’humeur légère, au point d’avoir pensé une fois :   «  Si un jour j’ai des ennuis, je boirai un petit coup. »  Ce qu’elle n’a pas jamais fait.  Pourtant , les ennuis n’ont pas manqué. Mais cette première année de retraite est particulièrement rude, avec des maladies graves chez ses enfants .  Néanmoins , en présence de sa famille, la jeune retraitée reste d’une sobriété absolue . Mais son mari voit bien le niveau des bouteilles baisser, les rayons de la cave se vider et les manœuvres de sa femme au retour des courses pour dissimuler ses achats.  Celle qui n’a jamais su mentir , devient la reine de la dissimulation. Prévenus par leur père les enfants l’interrogent: elle reconnaît avoir un problème et jure sincèrement tout faire pour s’en sortir . Elle le veut mais ne le peut pas, pour elle, désormais , le monde tourne autour de l’alcool: sa première pensée au réveil:  « Comment tenir jusqu’à 11 heures? »Ensuite :  «  juste un verre et je m’arrête ! ». Sa journée : trouver des cachettes , attendre l’occasion , mentir, dissimuler et boire encore , même avec dégoût, tomber endormie, abandonner toute activité. Des mois de souffrance, de dégoût de soi.  Elle en a marre .  Au point de vouloir boire jusqu’à en mourir .  Un jour , son frère et sa belle-sœur la trouvent dans le coma au milieu de ses rosiers… En… cure de désintoxication , pour la pour la première fois. Annie ne s’occupe que d’elle-même . La bienveillance et l’amitié des curistes accompagnent avec douceur l’abstinence . De retour chez elle, elle met en place des garde-fous: gymnastique, sophrologie…Hélas ! Elle replonge . Ses proches lui proposent alors de l’accompagner à une réunion des AA  (Alcooliques anonymes ). Là , elle ne se sent plus jugée . Pourtant , pendant plus d’un an, malgré sa fidélité aux réunions hebdomadaires , elle n’arrive pas à s’arrêter .  Il lui faudra des mois pour comprendre qu’il est vain d’attendre que tout change autour d’elle , que c’est à elle de changer . Une révélation qui lui permet d’aborder les douze étapes de la libération proposée par le mouvement . Petit à petit . Annie modifie son regard  sur sa famille , sur le monde …  «  Un travail qui ne sera jamais fini », reconnaît-elle. Et lorsqu’en ce jour anniversaire , son fils lui dit : «  ho, maman ,j’ai oublié que tu as été alcoolique! » elle sait , qu’il ne faut pas qu’elle l’oublie.