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Juillet 2015
L’ AGE N’APPORTE PAS LA SERENITE
KENZABURO OE
Le Monde Culture , Dimanche 24-lundi 25 mai 2015
► Le Prix Nobel est invité aux Assises internationales du roman, à Lyon
« J'essaie de réfléchir sur ce qu'est la
dignité de l'homme »
ENTRETIEN
Organisées par Le Monde et la Villa Gillet, à Lyon, les Assises internationales du roman s'ouvrent,
le 25 mai, par une rencontre avec le Japonais Kenzaburô
Oe, Prix Nobel de la littérature 1994. Il sera le
premier invité d'une semaine de tables rondes, de lectures et d'entretiens
avec des écrivains et des artistes du monde entier. Nous l'avons rencontré au Japon, où cet auteur à la voix subtile et
puissante parle de son travail littéraire et de son engagement, mais aussi de
ses réflexions sur la question de l’œuvre « tardive », celle de la
dernière partie d'une vie. |
Kenzaburô Oe, en mars 2012. HANNAH ASSOULIN,OPALE/LEEMAGE. |
Depuis plusieurs années,
vous annoncez votre adieu à la littérature. Mais vous ne vous êtes jamais
vraiment résolu à cet adieu... Pourquoi ? Après Suishi [Noyade], publié
en 2009 [{non traduit], et Adieu mon livre [Philippe Picquier éd.], publié la même année, j'ai pensé que j'en
avais fini avec le roman. Je l'ai dit. Je l'ai écrit. Et pourtant, j'ai
continué à écrire. Pour avancer dans la vie, l'écriture est finalement le
seul chemin que je connaisse. J'ai 80 ans, et j'écris depuis que j'en ai 22. PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE PONS |
« L'âge n'apporte pas la
sérénité »
Le Japonais Kenzaburô Oe, Prix Nobel de
littérature, est invité aux Assises internationales du roman à Lyon
Après Suishi, qui est un portrait de mon père, j'ai
publié en 2013 un autre livre, In Late Style (Dans
un Style tardif, Actes Sud). Le titre en anglais reprend celui du livre
posthume d'Edward Saïd (On Late
Style) qui m'a profondément marqué. Écrivain, essayiste et critique
palestino-américain, Edward Saïd était mon ami. Nous avions le même âge.
Nous communiquions par lettres et je suis allé le voir plusieurs fois lorsqu'il
était malade. Nous parlions de cette période de la vie qui était désormais la
nôtre : cette catastrophe personnelle de la mort qui s'approche.
L'âge devrait apporter la sérénité, mais ce n'est
pas le cas : les œuvres tardives sont marquées par l'intranquillité . Et c'est précisément à ce moment de
ma réflexion sur la fin de ma vie que s'est produit l'accident à la centrale de
Fukushima (mars 2011) : les deux catastrophes personnelle et collective se
confondaient.
Comment
définissez-vous votre propre « late
style » ?
Consciemment
ou non, tout écrivain a un style tardif, fruit de l'obscur sentiment que c'est
son dernier message. Pour ma part, il est fait de réflexions éparses et
d'impressions. In Late
Style n'est ni un roman au sens classique ni un journal qui me semble
superflu :
je brûlerai ce qui restera du mien avant de mourir.
Ce
livre est un récit, celui de ma vie quotidienne avec mon fils, Hikari, qui est handicapé mental. In Late Style est
une autobiographie biaisée : je reconstruis ma vie au fil d'un dialogue
avec Hikari et des pensées que sa présence, ses mots
simples, inattendus, m'inspirent de réflexion sur notre destin, le Japon, le
monde. Lui, écoute ou compose de la musique, et moi je lis, laissant flotter ma
pensée, prenant des notes.
Hikari est seul dans son
monde. Il n'est pas prisonnier de l'environnement social, pris dans l'agitation
du monde. C'est simplement un être humain, sensible à ce qu'il perçoit.
Il est l'émotion de la vie. Je retrouve en lui l'enfant de la forêt que j'étais
dans mon petit village du Shikoku.
In
Late Style est-il une sorte d'épilogue au cheminement qui commence avec
Une affaire personnelle (un écrivain réfléchit à sa vie à la suite de la
naissance d'un enfant souffrant de troubles mentaux et décide de vivre à ses
côtés) publié en 1964 ?
La
naissance de cet enfant, que j'évoquais dans
Une affaire personnelle, a bouleversé ma vie et mon travail
d'écrivain. Hikari a aujourd'hui 51 ans. Son
expression s'est améliorée et il me semble être devenu adulte. Son évolution
pourrait constituer l'épilogue du cheminement au fil duquel ma vie personnelle
et mon écriture se sont trouvées intrinsèquement liées. Et je pourrai mettre un
point final à mes notes. À moins qu'elles ne se terminent d'elles-mêmes...
Ce
style tardif est-il l'ultime expression d'un exil intérieur pour éviter le
piège de ce « Japon ambigu » que vous évoquiez dans votre discours
pour le prix Nobel de littérature en 1994 ? Ce pays écartelé entre
l'Orient et l'Occident, entre ses traditions et les voies qui lui a fait emprunter la modernisation ?
Cette expression, « Japon ambigu », m'a
valu de vives critiques de la part de mes concitoyens. Le Japon n'a pas
toujours été ambigu. Il l'est depuis son contact avec l'Occident et il l'est
aujourd'hui dans sa volonté de tourner la page de l'après-guerre, c'est-à-dire
des valeurs sur lesquelles il s'est reconstruit.
Vous
n'êtes pas un auteur engagé au sens sartrien du terme, mais plutôt un veilleur.
Comment définiriez-vous votre engagement ?
Je crois que la grande erreur de Sartre a été de s'engager aux côtés du Parti communiste. Moi, je n'ai jamais milité pour aucun parti. Je suis homme ordinaire vieillissant qui a reçu une éducation démocratique et qui s'y tient : c'est cela mon engagement. Un écrivain est quelqu'un qui assume son époque dans ses espoirs, ses contradictions, ses drames.
J'essaye de réfléchir sur ce qu'est la dignité de l'homme et de défendre des valeurs humanistes qui me semblent fondamentales. En tant que romancier, mon travail est sans doute terminé : en trois ans, j'ai écrit une soixantaine de pages... Est-ce que j'ai servi à quelque chose à la société ? J'en doute. Mais je continue à participer à des meetings et à rappeler que si l'on oublie le cauchemar de la catastrophe nucléaire de Fukushima, d'autres se produiront. Comme un saltimbanque qui passe de village en village pour chanter sa ritournelle... A-t-elle un impact ? Je ne le pense pas. Mais ce qui est important, c'est que les gens se réunissent autour d'une idée. C'est dans le sursaut pour surmonter les catastrophes personnelles ou collectives que réside une part de la dignité humaine.
« J'essaye de réfléchir sur ce qu'est la dignité de L'homme » KENZABURÔ écrivain japonais |
On vous accuse parfois
d'idéalisme...
Je ne
prends pas cela pour une critique. Oui, je suis idéaliste. ■
Assises
internationales du roman, aux
subsistances de Lyon, 8 bis, quai Saint-Vincent,
du 25 au 31 ma2015. Entretien de Kenzaburo Oe avec Raphaëlle Rérolle,
rédactrice en chef du supplément « Culture & idées », le lundi 25
mai, à 19 heures. Villagillet.net et sur notre site Lemonde.fr